Passions, plaisir, anamnèse du désir brûlant et du délire d’amour. Éros et l’enthousiasme hors de soi.
Maintenant Pascal pose la problématique suivante : Comment expliquer l’unité et la diversité de la beauté recherchée dans l’amour [ problème de l’un et du multiple ] ?
1. L’Idée du Beau est « gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables ».
Ici l’auteur semble reprendre la théorie platonicienne du « ressouvenir » ( [ « anamnèse », du grec « anamnèsis »] Phèdre, 249 c ) de l’Idée de la Beauté contemplée jadis et devenue empreinte indestructible. Racontons brièvement cette « épopée » philosophique du « délire [ « manikè » ] d’amour » qui saisit d’un « transport divin » tous les êtres [ étymologie du mot « enthousiasme » du grec « en », « dans », et « theos », « dieu », d’où l’exaltation qui nous soulève ! Phèdre, 249 d ]. Selon Socrate, l’esprit est constitué de trois éléments, ce qui dirige, le côté docile, et le côté fougueux. Et au moment de la procession des esprits allant contempler les Idées se produit une sorte de tohu-bohu entre les différents esprits qui peuvent apercevoir celles-ci plus ou moins bien. Certains doivent se replier sur de simples opinions [ Phèdre, 248 b ], si bien qu’ils aperçoivent une pluralité au lieu de l’unité du Beau. Ceux, au contraire, qui l’entrevoient, « sont mis hors d’eux-mêmes, ils ne s’appartiennent plus » [ Phèdre, 250 a ] sans bien le comprendre, sorte de mystère pour initié. « Celui dont l’initiation est récente, celui-là, quand il lui est arrivé de voir un divin visage, parfaite image de la beauté, ou le galbe d’un corps pareillement divin, il a commencé par frissonner, et quelque chose s’est insinué en lui de ses effrois de jadis » [ Phèdre, 251 a ]. D’où le « désir brûlant » qui conduit à ne plus dormir la nuit, ni de pouvoir rester en place le jour. Seule la jouissance pourra l’apaiser [ Phèdre, 251 c- e ]. Tel est le lien d’Éros et de la Beauté gravée dans nos âmes.
2.Comment expliquer alors les différentes « nuances » de Beauté ?
L’auteur du Discours sur les passions de l’amour va colorer différemment son premier propos très platonicien.
a. Il faut tenir compte des circonstances particulières qui dépendent de notre disposition, si bien que chacun cherche « l’original » dont il ne trouvera qu’une « copie » dans notre monde.
b. Mais il y a déjà une influence de la beauté féminine due aux femmes elles-mêmes qui ont un grand pouvoir sur l’esprit des êtres masculins. A l’Idée du Beau, elles ajoutent leur propre beauté ou celle qu’elles admirent chez d’autres femmes car elles sont très sensibles à la beauté d’une blonde ou d’une brune, du grain de sa peau.
c. La coutume de chaque pays s’en mêle et transforme nos passions. Reprenant un propos de Montaigne ( Essais, livre II, chapitre XII, Apologie de Raymond Sebond ), Pascal écrira dans ses Pensées [ 294- 60 ] : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Cependant le Discours sur les passions de l’amour affirme que chacun est persuadé de la véracité de son jugement et « un amant trouve sa maîtresse plus belle » et la donne en exemple; si bien que la beauté semble plurielle, animée en plus par l’esprit des femmes, leur grâce et leur pouvoir de séduction. Elles sont faites pour l’amour et dans le cœur des hommes, il y a une place pour elles.
d. « L’homme est né pour le plaisir ». On croirait ici entendre l’hédonisme d’Aristippe de Cyrène, pour qui seul le présent existe (puisque le passé n’est plus et le futur n’est pas encore ) et donc le plaisir donne la mesure de toutes choses [ à ne pas confondre avec l’eudémonisme d’Épicure qui conduit au bonheur ].
En tout cas, on est très loin du Pascal des Pensées qui ne cesse de parler de la « misère de l’homme » perdu dans un monde infini, désespéré [ 72- 199 ], berné par son imagination sur « la beauté, la justice et le bonheur » [ 82- 44 ]. Toutefois l’auteur du Discours sur les passions de l’amour ajoute que le plaisir en question peut être vrai ou faux, mais qu’importe, pourvu qu’il soit perçu comme vrai ! Peut-être évoque-t-il le plaisir simulé par le partenaire ! D’ailleurs comment distinguer le vrai du faux puisqu’en parlant d’amour, on devient amoureux ! Éros lui-même n’est-il pas un enfant ?
Key Word : Amour, l’Idée du Beau, hédonisme, eudémonisme. Key Names : Pascal, Platon, Montaigne, Aristippe de Cyrène, Épicure. Key Works : Patrice Tardieu, Seul critère : le plaisir, Aristippe de Cyrène ; notre affect semblable à celui d’autrui ? Philo blog du 14 octobre 2012 ; Aristippe de Cyrène, le pathos, sensation que le sujet éprouve, les mots et autrui. Philo blog du 17 octobre 2012 ; Présent, instant, plaisir, hédonisme, Aristippe de Cyrène, Horace, Kierkegaard. Philo blog du 19 octobre 2012. Pascal, Pensées, Discours sur les passions de l’amour. Platon, Phèdre. Montaigne, Essais. Épicure, Lettre à Ménécée.
Patrice Tardieu.