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7 octobre 2008 2 07 /10 /octobre /2008 13:00

 

La folie à l’âge classique

Notre peintre est-il alors typiquement du XVIIème  siècle et particulièrement dans sa description de la folie ? Michel Foucault a soutenu que l’âge classique est celui du « grand renfermement  » des fous, au nom de la Raison, que l’on veut réduire au silence, alors que les siècles passés avaient fait une place à la folie et même en avaient rendu compte par une expression artistique comme celle de Jérôme Bosch ou de Brueghel. « La Renaissance avait librement laissé venir à la pleine lumière du jour les formes de la déraison ; [...] jusqu’au XVIIème  siècle, le mal dans tout ce qu’il peut avoir de plus violent et de plus inhumain ne peut être compensé et châtié que s’il est mis à jour. [...] L’internement , au contraire, trahit une forme de conscience pour laquelle l’inhumain ne peut provoquer que la honte. [...] Le classicisme éprouve une pudeur devant l’inhumain que la Renaissance jamais n’avait ressentie ». Et par conséquent les criminels comme les insensés doivent être enfermés, avec ce paradoxe étrange que l’on montre ces derniers derrière les barreaux. On les montre car ce sont des monstres, des hommes réduits à la rage de l’animalité. Michel Foucault poursuit en décrivant le traitement que subissent ces malheureux : « on les enchaîne couramment. [...] Une femme était sujette à de violentes crises d’excitation : on la plaçait alors dans une étable à porcs, pieds et poings liés ; [...] les folles atteintes d’accès de fureur sont enchaînées comme des chiens [...] ; on leur passe à travers une grille leur nourriture et leur paille sur laquelle elles couchent ». Et il conclut : « c’est une sorte d’image de l’animalité qui hante alors les hospices. La folie emprunte son visage au masque de la bête »3. Au point que les fous sont laissés nus comme des animaux résistants aux intempéries.

Examinons maintenant le tableau de Bourdon, il correspond point pour point au « grand renfermement » de l’âge classique selon Michel Foucault : le démoniaque est ceint d’une chaîne , à demi-nu sur de la paille, les deux poings sont fermés, prêts à la violence (contrairement aux mains ouvertes des évangélistes et de Jésus) et les porcs sont présents eux aussi, bien sûr. Seulement cette toile ne fait que reprendre un texte du premier siècle dans tous ses détails, comme nous l’avons vu, y compris la nudité du fou, (« il  ne portait aucun vêtement » précise Luc) et son animalité. La thèse de la contention des insensés qui serait propre à l’âge classique ne semble pas soutenable.

Cette scène peinte par Bourdon pose d’ailleurs un paradoxe : comment le christianisme qui se définit lui-même comme « Croix et Folie », Foi déraisonnable en un Dieu crucifié, peut-il guérir de la folie ? Jésus lui-même aux yeux de ses contemporains, ne passe-t-il pas pour un fou, un illuminé ? N’a-t-il pas été rejeté par le Sanhédrin comme n’étant pas le Messie annoncé, le « Christos » (le Christ) c’est-à-dire le roi-chef  politique qui allait chasser les païens de la Terre  sacrée d’Israël4 ? On connaît la réponse chrétienne : la folie de Jésus n’est que la sagesse de Dieu qui va par amour-charité (« agapè » en grec) se pencher même sur l’être humain réduit à l’animalité.

L’étrangeté de la scène vient aussi du texte évangélique lui-même, car il n’y a pas seulement  « la folie de la Croix », le « credo quia absurdum » (« je crois parce que c’est absurde ») attribué à Tertullien, et qui traversera plus tard toute l’oeuvre de Kierkegaard, Jésus dialogue avec « les esprits malins » et accède à leurs voeux puisqu’au lieu de les précipiter dans l’abîme  (comme nous l’avons vu ) avant la fin des temps, ils sont introduits dans le corps des pourceaux à leur demande, rendant Jésus odieux aux yeux des Géraséniens qui exigent son départ immédiat de leur territoire après l’effort impuissant des bergers éclairés latéralement. Ceci pose évidemment le problème du pouvoir des « démons » dans un monde régi par un Dieu tout-puissant et omniscient à l’intérieur d’une doctrine qui refuse le manichéisme  (comme Saint Augustin qui l’a rejeté). Le démoniaque fait d’ailleurs une différence entre Jésus et Dieu puisqu’il lui dit : « je vous adjure, au nom de Dieu, ne me tourmentez pas » (Marc, V,7). La folie rusée du démoniaque aurait-elle trompé Jésus ?

Ici nous aimerions faire un rapprochement inattendu avec le portrait admirable de l’homme aux rubans noirs. Les yeux d’une brillance intense, les poignets attachés ne sont pas sans annoncer le regard de folie et les chaînes du démoniaque, d’autant plus que ce portrait est dramatisé par un puissant contraste d’ombre et de lumière comme dans les tableaux religieux du Caravage ou le ténébrisme de Zurbaran.

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