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22 mars 2015 7 22 /03 /mars /2015 00:41

Fellation, rite sacré, jouissance et accès à l’au-delà; Isis. Approche psychanalytique, Riviere, Klein.
Nous avions vu que la psychanalyste Joan Riviere se penche sur l’enfant au sein. Elle continue sa réflexion de la manière suivante : « Du point de vue psychique, aucun d’entre nous n’aurait grandi si nous n’avions pas éprouvé un certain mécontentement à l’égard du lait de notre mère, de ses mamelons ou de nos biberons [ substitut du sein maternel ] ». En particulier le plaisir érotique du sein va se retrouver ailleurs, la succion qui permettait au nourrisson d’obtenir la nourriture dont il avait besoin lui faisait éprouver « un plaisir sensuel à sucer le mamelon ». Une des transformations de la succion n’est autre que le baiser des amoureux. Mais la psychanalyse va plus loin : cet éloignement et ce « rejet » de la mère et de son sein fait que « nous passons tous par ce mécanisme, soit que comme petites filles nous recherchions ( et finalement en tant que femme nous trouvions ) quelque chose chez l’autre sexe qui ressemble à un mamelon ». Si je ne me trompe, la très aristocratique Joan Riviere se réfère à la fellation ( qui vient du mot latin « fellatio », du verbe « fellare », « sucer »; les érudits connaissent aussi le verbe « irrumer » qui signifie au sens propre « donner le sein » du verbe latin « irrumo », mais qui est employé de manière licencieuse, « mettre dans la bouche de quelqu’un, au sens priapéen » par Catulle, dans ses Poésies, 16, 1; 21, 8, et Martial dans ses Épigrammes IV, 50 ).
Quant au garçon, nous dit-elle, il va s’éloigner du sein de sa mère et la séparer du « lait » qu’il va trouver finalement comme produit par son propre sexe. Toutefois il gardera « ce fantasme, d’importance capitale, d’un sein toujours gonflé qui ne fait jamais défaut ». Peut-être est-ce pour cela qu’elle insiste sur les Don juan : « Ces gens passent leur vie à chercher, à trouver et à être déçus parce que, soit en qualité, soit en intensité, leurs désirs sont démesurés et irréalisables ». Et elle ajoute : « Les Don juan et les instables gardent ainsi intact leur désir de ce qui est bon, pour autant qu’ils puissent reconnaître ce qui est bon [ le « bon sein » ] ». C’est une sorte de quête d’un paradis perdu.
Melanie Klein avait déjà rapproché le sein et le pénis dans son livre La psychanalyse des enfants, en étudiant le cas d’une fillette de six ans, d’une rare précocité sexuelle : « La manière compulsive dont elle suçait son pouce était due à des fantasmes dans lesquels elle suçait, mordait et dévorait le pénis du père et les seins de la mère ». Voici l’explication générale des premières relations à la mère : « Au point de départ de ces fantasmes, qui expliquent l’extrême attachement de la fille à sa mère, on retrouve le sein maternel, la première et de ce fait la plus significative des sources de satisfaction ». D’où l’introjection, en cas d’angoisse, du sein de la mère [ ou du pénis du père ]. Mais celle-ci donne lieu à un sentiment de culpabilité ce qui « ne fait que resserrer ses liens avec la mère et donne lieu à un besoin de réparation et de restitution qui s’exprime par de nombreuses sublimations de type féminin » [ travaux de couture qui consistent aussi, tout de même, à couper ! ]. Le rôle du vagin, plus tard, dans l’acte sexuel, permettra à la fois l’incorporation sans la destruction !
Je vais maintenant décrire une fellation sacrée qui concerne la croyance religieuse de l’Égypte antique. Dans une page rarement montrée du papyrus Ani, il y a l’animation du phallus par Isis qui est une déesse habituellement ( comme dans le Temple d’Abydos du Roi Sethos I ) représentée portant une coiffe de plumes de vautour et des cheveux entremêlés de bijoux en forme de petites têtes de serpent avec un prolongement sur le crâne qui contient un disque solaire; elle tient dans une main une crécelle rituelle à l’effigie d’Horus [ fils qu’elle a eu avec Osiris son frère et son époux ] qui porte au-dessus de lui un sanctuaire miniature, et de l’autre main une amulette qui retourne les sorts avec huit chaînes. Mais sur le papyrus ses mains sont occupées à retenir l’homme qu’elle suce et ses longs cheveux noirs, tombant sur son dos, ne sont pas couronnés du soleil entre deux cornes de vache sacrée, symbole de la fertilité. Isis, à genoux, le sein nu, flatte donc oralement le membre viril de l’homme pendant qu’Anubis, fils également d’Osiris ( mais avec Nephtys, autre sœur de celui-ci ! ), qui a un visage de chacal, aux oreilles dressées, avec coiffe égyptienne, tient l’homme debout de ses deux bras.
Cette fellation sacrée porte le nom « d’ouverture de la bouche » qui permet à l’homme ici momifié de recouvrer la parole, mais cette expression me semble plutôt pencher du côté de l’action de la déesse Isis qui introduit le pharaon dans la jouissance de l’au-delà par sa bouche ! C’est du moins l’hypothèse audacieuse que je formulerais ! Il est vrai qu’il y a une représentation de la même scène sur la fresque de la tombe de l’intendant Roy à Thèbes [ la Thèbes « aux cents portes » de l’Égypte ancienne ] qui est moins explicite que sur le papyrus Ani dont il existe un fac-similé au British Museum de Londres, en espérant que le Musée du Caire ne soit pas saccagé !
Key Word : psychanalyse, plaisir de sucer le mamelon, le baiser, le « bon sein », la fellation. Key Names : Joan Riviere, Melanie Klein, K. Lange & M. Hirmer, Catulle, Martial. Key Works : Joan Riviere et Melanie Klein, L’amour et la haine. Melanie Klein, La psychanalyse des enfants. Catulle, Poésies, 16, 1; 21, 8. Martial, Épigrammes, IV, 50. Papyrus Ani, fac-similé du British Museum. K. Lange & M. Hirmer, Égypte, architecture, sculpture, peinture, planche 210. Je signale, à titre indicatif, la réflexion de Platon sur le dieu égyptien « Thoth » ( « Theuth » en grec ), Phèdre, 274 c, et le commentaire de Jacques Derrida, La pharmacie de Platon, in La Dissémination.
Patrice Tardieu.

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