21 janvier 2012
6
21
/01
/janvier
/2012
23:10
Choix du partenaire, attirance, critère : être opposé et complémentaire, ressemblance des personnes aimées, Proust avec Nietzsche.
Nous allons voir la méconnaissance absolue que l’on peut avoir d’une personne selon Proust. Il faut remonter à la toute première perception des jeunes filles au bord de la mer. Un vieillard était installé dans un fauteuil pliant abrité du vent et du soleil par un kiosque à musique, laissé là quelques instants par sa femme. « La tribune des musiciens formait au-dessus de lui un tremplin naturel et tentant sur lequel sans hésitation l’aînée de la petite bande se mit à courir : elle sauta par-dessus le vieillard épouvanté, dont la casquette marine fut effleurée par les pieds agiles, au grand amusement des autres jeunes filles ». Nous apprenons, quelques cent trente pages plus loin, qu’il s’agissait d’Andrée que le narrateur avoue avoir prise ce jour-là pour « une créature dionysiaque ». Au contraire, elle était frêle, intellectuelle, et souffrante cette année là ! Ce qui lui donnait « la plus délicieuse intelligence des choses du cœur, laquelle était peut-être due en partie à son état maladif » ( comme chez Proust lui-même ).
Ceci n’est pas sans évoquer cette affirmation de Nietzsche, au début de la Naissance de la Tragédie : « Nous aurons fait un grand pas en esthétique lorsque nous serons parvenus non seulement à la conviction intellectuelle mais à la certitude intime que l’évolution de l’art est lié au dualisme de l’esprit apollinien et de l’esprit dionysiaque, de même que la génération dépend de la dualité des sexes, dont la lutte perpétuelle n’est coupée que d’éphémères réconciliations ».
Ceci amène le narrateur proustien à réfléchir sur le choix du partenaire et l’attirance : « une certaine ressemblance existe tout en évoluant, entre les femmes que nous aimons successivement, ressemblance qui tient à la fixité de notre tempérament parce que c’est lui qui les choisit, éliminant toutes celles qui ne nous seraient pas à la fois opposées et complémentaires, c’est-à-dire propres à satisfaire nos sens et à faire souffrir notre cœur. Elles sont, ces femmes, un produit de notre tempérament, une image, une projection renversée, un " négatif " de notre sensibilité ».
Proust va utiliser une métaphore audacieuse pour aboutir à une conclusion non moins audacieuse, celle des rayons x d’une radiographie : « Notre radiation intuitive les traverse et les images qu’elle nous rapporte ne sont point celles d’un visage particulier, mais représentent la morne et douloureuse universalité d’un squelette ».
Key word
: méconnaissance d’une personne, jeunes filles au bord de la mer, créature dionysiaque, jeune femme frêle intellectuelle et souffrante, intelligence des choses du cœur, esthétique, dualisme de l’esprit apollinien et de l’esprit dionysiaque, dualité des sexes, le choix du partenaire, attirance, ressemblance entre les femmes que nous aimons, fixité de notre tempérament, critère de choix : être opposé et complémentaire, morne et douloureuse universalité.
Key names
: Proust, Andrée, Nietzsche.
Key works
: A l’ombre des jeunes filles en fleurs ( Proust ), la Naissance de la tragédie ( Nietzsche ).
L’île de notre nostalgie ( 2.1.u ).
Patrice Tardieu