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13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 13:26

Explication physiologique cérébrale qui échoue à expliquer le pourquoi, le comment, des passions.
Descartes est embarrassé car l’explication physiologique cérébrale qu’il a tentée ne peut en aucune façon différencier l’orgueilleux enflé de fausses raisons, du vertueux qui est qualifié de vertueux à juste raison. J’ajouterais que quelle que soit l’imagerie cérébrale, par le sang « subtil » qui circule dans le cerveau ou la glande pinéale au centre de celui-ci chez Descartes, ou par les circuits électriques du cortex actuellement, elle n’explique ni ne montre les « passions de l’âme » ( ou, si l’on préfère le « ressenti » du patient ). Les affects bien ou mal fondés ont les mêmes mouvements cérébraux. Autrement dit, le sentiment peut être légitime ou illégitime, mais la manifestation des émotions est semblable, ou même encore plus accentuée dans l’erreur quand l’opinion sur soi-même, par exemple, est beaucoup trop avantageuse plutôt que modérée ( c’est ce que soutient Descartes! ). L’humilité « vicieuse » triomphe de l’humilité « vertueuse » étant donné que « ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont le plus sujets à s’enorgueillir » ; la seule différence que Descartes y voit, est le caractère plus fluctuant dans la « vicieuse » que dans la « vertueuse » qui suscite l’admiration en montrant la puissance et la fermeté du libre arbitre comparées à l’impuissance du sujet humain en général.
Ceci dit, les vertus sont liées à de bonnes habitudes ( une fois encore Descartes se rapproche d’Aristote et de son « hexis », « disposition permanente » à bien faire, en effet, « une hirondelle ne fait pas le printemps » Éthique à Nicomaque, I, 1098 a, 5-20 ).
Descartes en vient même à un oxymore puisque l’acte en question est à la fois une « action de vertu » et une « passion de l’âme », en même temps « active » et « passive » ! Le mieux, semble-t-il, est d’abord « d’exciter la passion et ensuite d’acquérir la vertu de générosité » qui est « un remède général contre tous les dérèglements des passions ». On doit dire que l’on ne voit pas très bien comment cela est possible : acquérir la vertu grâce à la passion pour ensuite lutter contre les passions ! Peut-être est-ce la même chose que la « mystique » pour Wittgenstein : utiliser l’échelle pour monter et la jeter ensuite ( Tractatus Logico-philosophicus, 6. 54 ).
Tirons donc la conclusion suivante : l’approche purement physiologique n’explique rien ni ne distingue rien puisque le « vicieux » comme le « vertueux » empruntent les mêmes circuits cérébraux !
Key Word : imagerie cérébrale, l’orgueilleux, le vertueux, les affects, l’humilité vicieuse et l’humilité vertueuse, puissance et fermeté du libre arbitre, impuissance du sujet humain, disposition à bien faire, action de vertu et passion de l’âme, générosité, mystique.
Key Names : Descartes, Aristote, Wittgenstein.
Key Works : Patrice Tardieu, Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerfs, cerveau, Philo blog 19 avril 2015 ; Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes, Philo blog 25 avril 2015 ; Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis, Philo blog 9 mai 2015 ; Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun, Philo blog 17 mai 2015 ; Joie, jouissance de l’âme, se donner au désir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote, Philo blog 23 mai 2015 ; Libre arbitre absolu ou degrés de liberté : de l’indifférence à la poursuite du pire ? Descartes. Philo blog 29 mai 2015 ; Homme cartésien, généreux, courtois, affable, humble, modeste, maître de ses passions, Philo blog 6 juin 2015. Descartes, Les Passions de l’âme. Aristote, Éthique à Nicomaque. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus.
Patrice Tardieu.

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6 juin 2015 6 06 /06 /juin /2015 19:52

Homme cartésien, généreux, courtois, affable, humble, modeste, maître de ses passions.
Descartes va aborder la « générosité ». Mais qu’entend-il exactement par ce terme ? Il ne s’agit pas d’être « charitable ». Je dirais qu’il le prend au sens latin de « generosus » comme dans l’expression « rex generosus ac potens », « un roi à la fois magnanime et, en outre, puissant » et que l’on retrouve chez Corneille : « La générosité suit la belle naissance » ( Héraclius, acte VI, scène 2 ) ou encore :
« Suis l’exemple, et fais voir qu’une âme généreuse
Trouve dans sa vertu de quoi se rendre heureuse » ( Pulchérie, acte II, scène 5) et même chez Racine : « J’aime, je l’avouerai cet orgueil généreux
Qui jamais n’a fléchi sous le joug amoureux » dit Aricie devant la résistance d’Hippolyte à ses désirs ( Phèdre, acte II, scène 1, vers 443- 444 ). Descartes introduit cependant une nuance importante : il ne suffit pas « d’être bien né », il s’agit de la « vraie générosité, qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer » grâce au bon usage de son libre arbitre absolu et de ses volontés, « ce qui est suivre parfaitement la vertu ». Notons que le mot « vertu » ( en latin « virtus » ) a beaucoup évolué puisqu’il qualifie au début le « vir », « l’homme », opposé à la femme, dans ses qualités « viriles », et que la vertu est devenue synonyme de « chasteté féminine » ! Descartes le prend au sens éthique, puisque la vertu « empêche qu’on ne méprise les autres » car toute personne peut y accéder par elle-même; le libre arbitre étant donné à tout être humain et ne dépendant en rien du fait d’avoir « plus de biens ou d’honneur », « plus d’esprit, plus de savoir, plus de beauté », finalement « toutes choses […] fort peu considérables ». Considérons que certains manquent de connaissance plutôt que de bonne volonté qui est ou qui peut être en chacun.
Descartes en vient à définir l’humilité de façon positive ( alors qu’en latin le mot « humilitas » est négatif : il désigne le peu d’élévation, la bassesse, la faiblesse jusqu’à l’abjection ), sans doute à cause du Christianisme, de l’abaissement de Jésus sur la croix, la fameuse « kénose », « déjection » qu’il est devenu, Épître de Paul aux Philippiens, II, 7 ; « Il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même la mort sur la croix » II, 8 [ comme un esclave ]. Cela me fait penser au « Piss Christ » d’Andrès Serrano, du Christ qui se pisse dessus, œuvre d’art qui a fait scandale, et qu’il a expliqué de la manière suivante : on l’a laissé plusieurs jours sur la croix, il a dû uriner et déféquer sur lui-même. L’approche de Descartes est moins dramatique, il veut définir « l’humilité vertueuse » : « Ainsi les plus généreux ont coutume d’être les plus humbles ».
Descartes va nous brosser le portrait de l’homme cartésien, si je puis dire. Il est « porté à faire de grandes choses » ( c’est le sens qu’il donne à « généreux » ), il méprise son propre intérêt, il est « courtois, affable et officieux envers chacun ». Remarquons que ce mot « officieux » vient du latin « officiosus » qui a deux sens opposés : il signifie « obligeant, serviable » ( comme ici chez Descartes ) mais aussi désigne les esclaves chargés de garder les vêtements des baigneurs dans les fameux bains romains, et qui est rejeté par Montaigne comme des « services rendus » indignes de l’amitié ( Essais, I, XXVIII ). De plus il est maître de ses « passions » ( désirs, jalousie, envie, haine, peur, colère ) car il ne dépend pas de ses ennemis qui voudraient le voir offensé. Sinon cela signifierait qu’il est orgueilleux et soumis à la flatterie, ce qui serait stupide ! Certains tombent même dans « la bassesse » que Descartes nomme « l’humilité vicieuse », car ils se sentent faibles, prétendent n’avoir aucun libre arbitre et ne pas pouvoir faire autrement, tout en s’en mordant les doigts ensuite. Ils accroissent leur dépendance vis-à-vis d’autrui qui doit leur fournir ce qu’ils désirent. Cependant « ceux qui ont l’esprit le plus bas sont les plus arrogants et superbes » [ du latin « superbia », fierté mal placée, insolence. Le dernier roi de Rome, de 534 à 510 avant J.C. nommé « Tarquin le Superbe » signifie « le violent, le tyrannique, le perfide » qui entraîna la chute de la royauté, d’autant que son fils Sextus méritait lui aussi ces qualificatifs, ayant violé une vertueuse dame romaine prénommée Lucrèce qui se suicida ]. « Ceux qui ont l’esprit faible et abject ne sont conduits que par la fortune » [ là encore, au sens latin de « fortuna », le hasard, le sort, la chance, la malchance ]. Et Descartes d’ajouter : « on voit souvent qu’ils s’abaissent honteusement auprès de ceux dont ils attendent quelque profit ou craignent quelque mal, et qu’au même temps ils s’élèvent insolemment au-dessus de ceux desquels ils n’espèrent ni ne craignent aucune chose ».
Concluons. Qu’est-ce qui distingue l’âme basse de l’âme généreuse ? L’âme basse est celle qui dépend entièrement d’autrui et des événements extérieurs, et qui prétend n’être responsable de rien. L’âme généreuse se prend en main et ne change pas d’attitude selon ce qui arrive ou pas. Descartes nous donne une leçon de courage.
Key Word : passions, générosité, vertu, humilité.
Key Names : Descartes, Corneille, Racine, Saint Paul, Andrès Serrano, Montaigne, Tarquin le Superbe, Sextus Tarquin violeur de Lucrèce.
Key Works : Patrice Tardieu, Incarnation, kénose, humiliation, abaissement. Jésus et la vidure du Tout Autre, viduité, isolement, Philo blog 25 mai 2012 ; Kénose de l’Être, Néant, liberté absolue et mort, crucifixion du réel, la terreur, la Révolution, Philo blog 4 juin 2012 ; Opposition inclination loi morale chez Kant, contradictions sursumées chez Hegel, le plérome de l’amour, Philo blog 5 avril 2012 ; Nostalgie infinie, effroi, douloureuse nécessité de la perte, transsubstantiation, kénose, Philo blog 7 juin 2012. Descartes, Les Passions de l’âme. Corneille, Héraclius, Pulchérie. Racine, Phèdre. Saint Paul, Épître aux Philippiens. Andrès Serrano, Piss Christ. Montaigne, Essais. Tite-Live, Histoire de Rome. Bronzino, Lucrèce [tenant la dague avec laquelle elle va se tuer après son viol ], Galerie Borghèse, Rome. Le Titien, Lucrèce, Hampton Court [ résidence royale près de Londres ]. Shakespeare, The Rape of Lucrece ( poème ).
Patrice Tardieu.

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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 11:43

Libre arbitre absolu ou degrés de liberté: de l’ indifférence à la poursuite du pire ? Descartes.
Descartes va analyser un cas particulier assez singulier en faisant une nouvelle distinction conceptuelle alors qu’il est arrivé à la fin de la deuxième partie, dans son ouvrage Les Passions de l’âme ,qui devait terminer son livre. Il se penche sur le cas d’un homme qui pleure son épouse morte alors qu’il serait fâché de la voir ressuscitée ! Voici comment il explique ce paradoxe : la tristesse (une des quatre « passions » qu’il a étudiée ) est due à tout ce qui accompagne les funérailles et à la perte d’une personne avec laquelle il était accoutumé d’échanger des propos sur toutes sortes de sujets, il aurait le plaisir de converser. « Son cœur est serré » et « quelques restes d’amour ou de pitié qui se présentent à son imagination tirent de véritables larmes de ses yeux ». Cependant il éprouve « une joie secrète » qui ne peut en aucun cas être anéantie par le chagrin, la mélancolie du deuil, la peine ressentie. Comment donc une « passion » ( ici la peine ) peut-elle être contrecarrée et par quoi ? Descartes invente le concept « des émotions intérieures », excitées « en l’âme et par l’âme même », qui s’opposent aux « passions » toujours causées par quelque chose d’extérieur qui se répercutent en nous et se manifestent corporellement comme les pleurs, les spasmes. Et il en tire une conclusion optimiste inattendue : on peut toujours lutter intérieurement contre ce qui nous arrive de l’extérieur et qui ne dépend pas de nous ( Descartes a retenu la leçon d’Épictète ) grâce à ce qui dépend de la force intérieure de notre âme.
Descartes avait donc achevé Les Passions de l’âme qu’il avait fait parvenir à la princesse palatine Elisabeth de Bohême et à la reine Christine de Suède, lorsqu’il décide, au moment de la publication, début septembre 1649, d’ajouter une troisième partie, avant son départ pour Stockholm où il mourra en février 1650 à cinquante quatre ans. Il avait abouti à la tranquillité de l’âme, mais il reprend l’étude des passions, cette fois-ci qualifiées de « particulières » par rapport aux « générales » qu’il avait étudiées. Il s’attaque en premier à l’estime et au mépris qu’il considère comme « des espèces d’admiration » ( au sens étymologique latin du verbe « admirari », « considérer avec étonnement » ) car l’estime « est excitée en nous par l’amour, et le mépris par la haine », et relèvent donc de l’inclination positive ou négative. A quoi veut en venir Descartes ? A l’opinion que l’on peut avoir de soi-même et qui « change même la mine, les gestes, la démarche ». On voit que Descartes est un fin observateur mais pas seulement, il s’agit de soutenir une thèse philosophique : pour quelle raison s’estimer ? C’est « l’usage de notre libre arbitre et l’empire que nous avons sur nos volontés » qui méritent louange ou blâme. Observons que Descartes, dans son dernier ouvrage donc, ne critique nullement le « libre arbitre » puisqu’il « nous rend en quelque façon semblables à Dieu en nous faisant maître de nous-mêmes, pourvu que nous ne perdions pas par lâcheté les droits qu’il nous donne » (article 152 ). La grandeur et la bassesse de l’homme proviennent donc de son libre arbitre.
Revenons d’abord à la quatrième Méditation. Le libre arbitre est le fait que l’homme est l’arbitre de lui-même : « nous pouvons faire une chose ou ne la faire pas, c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir, […] nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne ». Mais Descartes précise : « afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent ». En effet : « cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance, qu’une perfection dans la volonté ». Mais cette phrase de Descartes me semble mystérieuse : comment concilier l’idée de degrés de liberté avec ce libre arbitre absolu ?
Et Descartes conclut en présageant les choses dans le meilleur des mondes [ chez Leibniz, qui est beaucoup plus pessimiste, il faut ajouter « possible » ] : « car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent [ choisissant le bien et le vrai ]. » ( Méditations, 1641 ).
Dans sa lettre à Mesland du 9 février 1645, Descartes va modifier profondément ce dernier point de vue : « il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre liberté ». Et Descartes [ reprenant l’affirmation de Médée, « je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal ; Ovide, les Métamorphoses, VII : « video meliora, proboque, deteriora sequor » ] parle « de cette puissance positive que nous avons de suivre le pire, tout en voyant le meilleur ».
En fait, dans cette lettre, Descartes veut curieusement garder les deux définitions antithétiques ( « le plus bas degré de liberté » et « la faculté positive de se déterminer » sans poser aucun degré de liberté ) ; et il complique les choses encore en distinguant aussi les actions, avant l’accomplissement, avec cette puissance positive, et celles, pendant l’accomplissement, qui n’implique aucune indifférence étant donnée l’action en cours.
Key Word : passion, tristesse, joie secrète, émotions intérieures, tranquillité de l’âme, l’estime, le mépris, la volonté, la liberté. Key Names : Descartes, Leibniz, Épictète, Ovide. Key Works : Patrice Tardieu, Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerf, cerveau, Philo blog 19 avril 2015 ; Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes, Philo blog 25 avril 2015 ; Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis, Philo blog 9 mai 2015 ; Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun, Philo blog 17 mai 2015 ; Joie, jouissance de l’âme, se donner au plaisir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote, Philo blog 23 mai 2015. Descartes, Les Passions de l’âme ; Les Méditations, quatrième méditation ; Lettre à Mesland. Leibniz, Théodicée ; Confessio philosophi. Épictète, Entretiens ; Manuel. Ovide, Les Métamorphoses, VII.
Patrice Tardieu.

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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 13:12

Joie, jouissance de l’âme, se donner au désir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote.
Se pose, pour Descartes, le problème de la haine. Celle-ci, même la plus infime, ne peut que nuire car elle nous ronge. La haine du mal nous pousse à l’action, mais cette dernière serait tout aussi bien accomplie par l’amour du bien, son contraire. Encore faut-il connaître ce bien ou ce mal. La douleur du corps et la haine du mal physique sont liées. Cependant en ce qui concerne l’âme, la haine du mal ne peut être sans tristesse, « le mal n’étant qu’une privation ». Je pense qu’ici Descartes reprend l’argumentation d’Augustin : Dieu ayant créé l’univers, le mal ne peut être une substance, c’est la privation d’un bien ( La Cité de Dieu, livre XI ). L’âme est faite pour « être, connaître et aimer » ( structure trinitaire chez Augustin ; comme le nœud borroméen qui relie trois cercles de Jacques Lacan, sa tripartition du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel ; le christianisme « est la vraie religion », « est le vrai dans la religion » dit-il dans sa leçon du 11 septembre 1973 ! Rappelons que son frère cadet, Marc-Marie Lacan, était moine en l’abbaye de Hautecombe ). L’exemple que donne Descartes est très simple : nous nous sommes éloignés de quelqu’un à cause de ses mœurs, mais nous nous privons, du coup, de sa conversation.
En ce qui concerne le désir, écrit Descartes : « il est évident que lorsqu’il procède d’une vraie connaissance il ne peut être mauvais ». De même, « la joie ne peut manquer d’être bonne ». En effet elle procure la jouissance de l’âme. Descartes se lance dans une hypothèse étonnante : « si nous n’avions pas de corps », alors qu’il n’a cessé de déployer tout l’arsenal physiologique pour nous expliquer les « passions » de l’âme [ la « passivité » de celle-ci ] ! Son argument est le suivant : si nous n’étions qu’une âme, il faudrait éviter toute haine et toute tristesse et se donner entièrement à l’amour et à la joie ; cependant nous avons aussi un corps et ces quatre passions peuvent être trop violentes. Seule la modération nous sauvera.
Descartes va rentrer dans une argumentation curieuse car on va le surprendre en train d’hésiter ! On a vu que la haine et la tristesse doivent être rejetées par notre âme, même si leur fondement est vrai, a fortiori s’il est faux. Mais que dire alors de l’amour [ je le rappelle, toujours au féminin chez Descartes ] et de la joie mal fondées ? En effet la joie sera plus fragile et l’amour plus déceptive. Cependant, pour Descartes, elles semblent préférables à la tristesse et à la haine liées à la méprise. Dans la vie, on ne peut échapper à certaines tromperies, mais il vaut mieux pencher du côté de celles qui nous rendent heureux plutôt que malheureux. « Une fausse joie vaut mieux qu’une tristesse dont la cause est vraie » (article 142 ) écrit Descartes. C’est ici qu’il hésite à propos de la haine et de l’amour ; peut-on soutenir le même type d’argument ? Lorsque la haine est basée sur des faits incontestablement nuisibles, elle nous pousse à nous éloigner de ce mal qui pourrait nous détruire, de cette personne qui peut nous blesser moralement et physiquement. Par contre l’amour « injuste » nous conduit à nous approcher d’un personnage inquiétant qui « nous avilit et nous abaisse ».
Descartes va, en quelque sorte, revenir sur ses pas, et reconsidérer le désir par rapport à tout ce qui règle nos mœurs. Finalement il va revoir ce qu’il a dit des quatre passions ci-dessus qu’il n’avait considérées qu’en elles-mêmes. C’est le point de vue de l’action dont il faut tenir compte. Or, toute passion dont la cause est erronée peut alors être jugée nuisible, et, inversement, si la cause est fondée, elle peut être utile. Descartes en arrive à une palinodie ( comme Socrate en ce qui concerne l’amour dans le Phèdre de Platon, 244 a- 257 b, ou Freud sur la séduction ou la vision de la scène primitive réelles ou fantasmées, à l’origine de la névrose ), de ce qu’il avait dit sur la « fausse joie » ; maintenant il soutient que tout fondement faux est mauvais et même que « la joie est ordinairement plus nuisible que la tristesse » ( article 143 ) qui, elle, donne de la retenue, de la crainte et finalement de la prudence, alors que la fausse joie nous rend écervelé, étourdi et sans jugement dans l’action. Descartes se rapproche dangereusement ( ! ) d’Aristote, de sa critique du « dérèglement » ( « akolasia », Éthique à Nicomaque, III, 15, 119 a 34, qu’il trouve infantile ), de son éloge de la « prudence » ( « phronèsis », I, 13, 1103 a 2 ) et de l’homme « sage », « prudent » ( « phronimos », II, 6, 1107 a 2 ).
Key Word : passion, action ; le mal est une privation, pas une substance ; l’âme est faite pour être, connaître et aimer. Key Names : Descartes, Augustin, Lacan, Platon, Freud, Aristote. Key Works : Patrice Tardieu, Lacan et la question du déclin de l’imago paternelle. La haine du père et de Dieu, Philo blog 13 février 2015 ; La famille première unité sociale, la femme médiatrice, Lacan, de Bonald, Comte, Maurras, Philo blog 18 février 2015. Descartes, Les passions de l’âme. Augustin, La cité de Dieu. Lacan, Les non-dupes errent [ Les noms du père ], Séminaire 1973- 1974. Platon, Phèdre. Freud, Cinq Psychanalyses. Aristote, Éthique à Nicomaque.
Patrice Tardieu.

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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 12:24

Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun.
On peut même dans Les Passions de l’âme de Descartes trouver quelques propos « galants ». En particulier lorsqu’il va essayer de décrire et d’expliquer « les actions des yeux et du visage, les changements de couleur, les tremblements, la langueur, la pâmoison, les ris [ figures rieuses ], les larmes, les gémissements et les soupirs ». En effet, « il n’y a aucune passion que quelque particulière action des yeux ne déclare », et pourtant il est difficile de la décrire précisément en détail à partir de l’œil seul ; il faut recourir au front, au nez et aux lèvres ( comme le montrera le peintre Charles Le Brun dans sa Conférence sur l’expression des passions de 1668, avec soixante-trois dessins et une description écrite très cartésienne ), mais ceux-ci peuvent « aussi bien servir à dissimuler ses passions qu’à les déclarer ». Par contre, la maîtrise de la rougeur ou de la pâleur devient impossible, de même le tremblement dû à un désir ardent, une colère ou une ivresse. Descartes en vient à la langueur par amour. Tout vient du fait qu’on imagine que l’objet de notre désir ne saurait être atteint dans le temps présent. En effet « l’amour occupe tellement l’âme à considérer l’objet aimé », qu’elle se bloque sur son image, si bien qu’il y a obsession de la personne désirée, laissant le corps languissant. Quant à la pâmoison, elle « n’est pas fort éloignée de la mort ». Le feu du cœur semble s’être éteint, étouffé. Les larmes ne viennent pas d’une tristesse extrême, elles sont « accompagnées ou suivies de quelque sentiment d’amour, ou aussi de joie »; mais c’est surtout la passion d’amour qui produit par intervalles celles-ci à cause de « quelque nouvelle réflexion » sur la personne que les amoureux affectionnent.
Descartes vient à considérer les enfants qui « pâlissent au lieu de pleurer ». D’après lui, cela manifeste « un jugement et un courage extraordinaire » car cela prouve qu’ils envisagent « la grandeur du mal et se préparent à une forte résistance ». Cependant cela peut être le plus souvent la marque d’un « mauvais naturel » basé sur la haine ou la peur, à l’inverse des enfants qui pleurent facilement qui penchent vers l’amour et la pitié. On voit ici poindre une explication caractérologique. Mais Descartes en vient même à une interprétation, je ne dirais pas psychanalytique, mais où il introduit une explication par l’enfance restée inconsciente. En effet, il existe d’étranges aversions chez certains, par exemple envers le parfum des roses, ou la vue d’un chat. Descartes suggère que l’odeur de ces fleurs ont produit un grand mal de tête alors que l’enfant était dans son berceau, ou qu’un chat l’a effrayé, sans que personne ne s’en aperçoive ni qu’il s’en souvienne, ou mieux, étant donnée la « liaison entre notre âme et notre corps », lorsqu’il était dans le ventre de sa mère et, par compassion, il a éprouvé les mêmes ressentis qu’elle, qu’il a conservés en dehors de toute conscience, et qu’il gardera « jusques à la fin de sa vie ». Au bout du compte, les passions de l’amour, de la haine, du désir, de la joie et de la tristesse sont toutes utiles, surtout les négatives qui servent à « repousser les choses qui nuisent et peuvent nous détruire » ! Cependant ne faisons pas comme les bêtes qui se laissent tromper par des appâts et qui, « pour éviter de petits maux, se précipitent en de plus grands », utilisons l’expérience et la raison. Descartes est à la fois empiriste et rationaliste !
On ne s’y attendait pas, mais Descartes va faire l’éloge de l’amour lorsqu’il est fondé sur une connaissance vraie, grâce à l’âme : « l’amour est incomparablement meilleure [ « amour », chez Descartes, est féminin, même au singulier ] que la haine ; elle ne saurait être trop grande et elle ne manque jamais de produire la joie. Je dis que cette amour est entièrement bonne, pour ce que, joignant à nous de vrais biens, elle nous perfectionne d’autant. Je dis aussi qu’elle ne saurait être trop grande, car tout ce que la plus excessive peut faire, c’est de nous joindre si parfaitement à ces biens, que l’amour que nous avons particulièrement pour nous-mêmes n’y mette aucune distinction [ l’être aimé étant notre moitié ] » (article 139 ). Ceci n’est pas sans évoquer pour moi le conte de Psyché [ l’âme ] et d’Éros [ l’amour ] qu’a décrit l’écrivain latin Apulée.
Key Word : passion, désir, amour, les yeux, le visage, étranges aversions, tromperie des appâts. Key Names : Descartes, Charles Le Brun, Apulée. Key Works : Patrice Tardieu, Expérience érotique dans un palais sans gardien ni fermeture, léger bruit dans l’obscurité. Apulée. Philo blog 22 novembre 2013 ; Psyché s’interroge sur son amant nocturne, ce « mari » qui lui fait l’amour et s’endort. Philo blog 24 novembre 2013 ; Amour de l’amour, désir brûlant, ardent, le dieu voluptueux, maître du feu amoureux, enjouement, Philo blog 26 novembre 2013 ; Recevoir de Vénus sept doux baisers avec la langue, pur miel. Psyché fouettée, tourmentée, Philo blog 28 novembre 2013 ; Les deux amants, nectar, roses, parfum,chants, danse et flûte jouée par un satyre, « voluptas », Philo blog 30 novembre 2013. Descartes, Les Passions de l’âme. Charles Le Brun, Conférence tenue en l’Académie Royale de peinture et de sculpture sur l’expression générale et particulière ( et Cabinet des dessins du Musée du Louvre ).
Patrice Tardieu.

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9 mai 2015 6 09 /05 /mai /2015 13:03

Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis.
Descartes va maintenant nous parler « De l’agrément et de l’horreur » dans son traité Les Passions de l’âme. Nous avons vu que Descartes donne une très grande extension au mot « amour », mais il ne trouve pas qu’il en soit de même pour la haine. Il y a beaucoup plus de sortes d’amours passionnées que de haines. Cependant on peut trouver une opposition symétrique, si l’on considère les sens extérieurs et les sens intérieurs de l’âme. En effet alors on peut dire qu’il y a deux espèces : l’amour « d’agrément » basé sur la beauté, et la haine de la laideur qui produit l’horreur ou l’aversion, toutes deux provenant de nos sens extérieurs, principalement la vue. Il est assez scandaleux selon Descartes que les deux autres espèces symétriques et opposées, basées sur les sens intérieurs et la raison, l’amour de ce qui est bon, et la haine de ce qui est mal, pèsent d’un poids moindre que l’agrément et l’horreur, deux passions qui trompent le plus mais qui touchent le plus fortement. En effet, le désir de fuite peut être provoqué par « le bruit d’une feuille tremblante ou son ombre » comme s’il y avait péril de mort, et inversement le désir de jouissance à la vue de la différence des sexes pousse à chercher sa « moitié », comme « le plus grand de tous les biens imaginables » avec cette nuance importante : « Et encore qu’on voie plusieurs personnes de cet autre sexe, on n’en souhaite pas pour cela plusieurs en même temps, d’autant que la nature ne fait point imaginer qu’on ait besoin de plus d’une moitié » ( article 90 ), il s’agit proprement de l’amour au sens strict et ses « plus étranges effets ».
Notons que Descartes est aux antipodes de la polygamie du Coran, sourate IV ( « An-nisâ‘ », « Les femmes » ), verset 3 : « Épousez deux, trois ou quatre femmes, parmi celles qui vous plaisent », étant entendu que, verset 34, « les hommes ont autorité sur les femmes […]. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles en les reléguant dans des lits à part, et frappez-les ». Enfin, verset 43, avant la prière, « si l’un de vous revient du lieu où il a fait ses besoins, ou si vous avez touché à des femmes », il vous faut faire vos ablutions.
Descartes introduit une autre distinction : il y a la joie intellectuelle donnée par l’entendement et la joie passionnelle liée à la jouissance d’un bien que l’on se représente comme nous appartenant, et si l’on ne le représente pas, c’est comme s’il n’existait pas. Il peut aussi y avoir une tristesse intellectuelle comme une tristesse passionnelle qui est une « langueur désagréable ». Mais on peut se sentir triste ou joyeux sans raison, c’est-à-dire sans savoir de quel bien ou de quel mal il s’agit.
Descartes va insister sur les impressions du corps : il suffit qu’il fasse beau temps et que nous soyons en bonne santé pour éprouver de la gaieté sans aucune véritable raison et inversement si nous sommes indisposés, une certaine tristesse nous envahit. Cependant il peut y avoir le paradoxe d’une caresse qui nous déplaît ( Descartes dit « un chatouillement » ) ou celui de supporter des douleurs avec joie car cela prouve notre force de résistance, et de même le plaisir de regarder une tragédie qui ne peut en aucun cas nous nuire provient du fait que c’est une fiction, des « aventures étranges » représentées sur la scène d’un théâtre.
On connaît la célèbre définition d’Aristote ( Poétique, chapitre 6, 1449 b 25 ) : « La tragédie […] est une « mimésis » ( « imitation » ) faite par des personnages en action […] qui, par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la « catharsis » ( « purgation » ) des passions de ce genre ». Je dirais qu’on peut faire un rapprochement inattendu sur ce point avec Descartes qui a toujours voulu se différencier d’Aristote. En effet il s’agit d’expliquer comment des émotions pénibles peuvent se transformer en plaisir. Le vocabulaire médical ( « catharsis » ) ne déplairait pas non plus à Descartes qui en abuse pour expliquer les passions.
Key Word : agrément, horreur, étranges effets de l’amour, autorité de l’homme sur la femme, mimésis. Key Names : Descartes, Aristote. Key Works : Patrice Tardieu, Caresse : de l’effleurement sensuel à l’efflorescence de l’idée, Philo blog 23 janvier 2007 ; Humeur noire, clivage du moi, ombre de l’autre, deuil sans raison, Freud, Verlaine, Philo blog 11 octobre 2012. Descartes, Les Passions de l’âme. Aristote, Poétique.
Patrice Tardieu.

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 12:59

Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes.
Puisque j’ai consacré deux articles récents au Discours sur les passions de l’amour attribué à tort ou à raison à Pascal, j’en viens directement à ce qu’en dit Descartes : « L’amour est une émotion de l’âme […] qui l’incite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables ». Il s’agit de « passions » qui « dépendent du corps » ( article 79 ). Descartes va nous expliquer ce que signifie « se joindre ». Il précise qu’il ne s’agit pas de désir, toujours tourné vers l’avenir, mais « du consentement par lequel on se considère dès à présent comme joint avec ce qu’on aime, en sorte qu’on imagine un tout duquel on pense être seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre » ( article 80 ). Remarquons que Descartes reprend la métaphore qui définit l’amitié chez Augustin ( Confessions, livre quatrième, chapitre VI ) à la mort de son ami : « je ne voulais plus vivre, amoindri de la moitié de moi-même », et chez Montaigne parlant d’Etienne de La Boétie ( auteur du Contr’Un ou Discours de la Servitude Volontaire ) : « Nous étions à moitié de tout; il me semble que je lui dérobe sa part […]. J’étais déjà si fait et accoutumé à être deuxième partout qu’il me semble n’être plus qu’à demi » ( Essais, I, XXVIII ). Descartes ajoute ( article 81 ) qu’on ne peut distinguer un amour de concupiscence d’un amour de bienveillance car l’amour cumule, comme effets, ces deux attitudes.
Puis, tout à coup, c’est l’élargissement stupéfiant et choquant du concept ( article 82 ) : « Comment des passions fort différentes conviennent en ce qu’elles participent de l’amour ». En effet, Descartes, qui cherche toujours à distinguer clairement et distinctement les choses, met ici dans le même sac, si je puis dire,
1. « Les passions qu’un ambitieux a pour la gloire ».
2. « Un avaricieux pour l’argent ».
3. « Un ivrogne pour le vin ».
4. « Un brutal pour une femme qu’il veut violer » [ sic ! ].
5a. « Un homme d’honneur pour son ami »,
5b. « ou pour sa maîtresse » [ est-ce la même attitude ? ].
6. « Un bon père pour ses enfants ».
Descartes avoue que ces comportements sont bien différents mais que, participant de « l’amour », on peut, sous cet angle, les considérer comme « semblables » ! Il ajoutera une importante nuance : dans les quatre premiers cas, il s’agit seulement de posséder « l’objet » ( position sociale, richesse, boisson, personne ) que l’on veut obtenir ; dans celui de l’homme d’honneur pour son ami, on retrouve le cas de l’amitié que j’ai décrite mais peut-être avec moins d’intensité que chez Augustin ou Montaigne ; et celui du désir qui y est mêlé, quand cela concerne sa maîtresse. Seul le cas du bon père de famille a toutes les éloges de Descartes , puisqu’il cherche le bien de ses enfants comme le sien propre et même encore plus que le sien, puisqu’il peut se sacrifier pour eux.
Descartes va alors distinguer trois degrés dans les relations ( article 83 ) : la simple affection où le moi du sujet reste prédominant ; l’amitié où se trouve une totale égalité ( Montaigne va plus loin car l’égalité présuppose deux personnes, or dans l’amitié entière il n’y a plus « bienfait, obligation, reconnaissance, prière, remerciement » qui sont des « mots de division » ) ; la dévotion. Selon Descartes, « on peut avoir de l’affection pour une fleur, pour un oiseau, pour un cheval », mais « on ne peut avoir de l’amitié que pour des hommes ». Que l’être humain soit imparfait ne pose pas vraiment de problème, il suffit d’avoir soi-même l’âme « noble et généreuse », et il nous renvoie à la distinction du philosophe Épictète sur ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Je vais expliciter cette opposition conceptuelle stoïcienne.
Ce qui est à notre portée, c’est en premier notre jugement ( « hypolepsis » ) car ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui nous troublent mais le jugement que nous portons sur elles ; il suffira de changer d’opinion pour ne plus être troublé. En second lieu la maîtrise de notre impulsion ( « hormè » ) car nous pouvons maîtriser, avec un peu d’exercice, nos tendances. En troisième lieu, notre décision volontaire ( « proairesis » ) qui peut dompter notre désir ( « orexis » ) ou notre aversion ( « enklisis » ). Ce qui ne dépend pas de nous, ce sont les accidents qui arrivent à notre corps, les aléas en ce qui concerne ce que nous possédons matériellement, l’opinion des autres sur nous ( la « doxa » ), les pertes inopinées de pouvoirs.
Concentrons-nous donc sur ce qui dépend de nous, sinon nous nous rendons esclaves de la poursuite vaine de la richesse, de la réputation ou du pouvoir ; c’est le prix de la liberté. Telle est la philosophie d’Épictète.
Key Word : amour, amitié, émotion de l’âme, passions, Stoïcisme. Key Names : Descartes, Pascal, Augustin, Montaigne, La Boétie, Épictète. Key Works : Patrice Tardieu, Désirer est-ce aimer ? 87404404.html, Philo blog 28 octobre 2011 ; Amours indivisées, amour indivis, désir d’aimer, Proust, Philo blog 25 janvier 2012 ; Sans amour je suis disloqué, les contradictions sursumées de l’amour, la conscience amoureuse, Hegel contre Proust, Philo blog 24 mars 2012 ; Amitié, Philo blog 8 juin 2011 ; que j’ai traduit en anglais Friendship Philo blog 26 juin 2011 ; L’amour, l’ennui, le cœur et la raison, les passions, Dieu. Pascal, Heidegger, le chevalier de Méré, Philo blog 5 avril 2015 ; Passions, plaisir, anamnèse du désir brûlant et du délire d’amour. Éros et l’enthousiasme hors de soi, 12 avril 2015.
Descartes, Les passions de l’âme. Pascal, Discours sur les passions de l’amour. Augustin, Confessions, livre IV, chapitre VI. Montaigne Essais, I, XXVIII, de l’amitié. La Boétie, Contr’Un ou Discours de la servitude volontaire. Épictète, Manuel, Entretiens. Balzac, Le Père Goriot. [Il se sacrifie pour ses filles qui n’ont pour lui aucune reconnaissance ].
Patrice Tardieu.

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19 avril 2015 7 19 /04 /avril /2015 23:56

Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerfs, cerveau.
Descartes a rencontré Pascal en 1647 et il a hanté avant lui les salons mondains. Mais surtout il a eu une longue correspondance avec la princesse palatine Elisabeth de Bohème pour laquelle il a écrit en français un ouvrage au titre magnifique Les Passions de l’âme, au contenu déroutant comme nous le verrons. Il en enverra un exemplaire à la reine Christine de Suède qui le fera venir à Stockholm où il mourra cinq mois après.
Notons que le français était pratiqué aux dix-septième et dix-huitième siècles dans toutes les cours d’Europe et disparaîtra avec la révolution française au grand dam de Casanova voyant s’écrouler les fêtes de l’époque auxquelles il avait été invité pour son esprit car il n’avait ni noblesse ni argent, dont voici une de ses répliques. On lui demandait quel défaut il écartait en ce qui concerne les femmes et sa réponse fut : « J’écarte les jambes » ! Casanova rédigea d’ailleurs ses célèbres Mémoires en français.
J’ai dit que le traité de Descartes nous met dans l’embarras ( et ceci, dès le début ), en effet l’article 10 est intitulé « Comment les esprits animaux sont produits dans le cerveau » et il nous explique que ce sont « les plus vives et plus subtiles parties du sang [ l’expression « les esprits animaux », comme en chimie on parle « d’esprits-de-sels », sert à désigner un des corps les plus volatiles ] que la chaleur a raréfiées dans le cœur [ qui ] entrent sans cesse en grande quantité dans les cavités du cerveau »; ce qui permet de comprendre « les mouvements des muscles » ( article 11 ).
Et il faudra attendre l’article 27 pour avoir « la définition des passions de l’âme » : ce sont « des perceptions ou des sentiments ou émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, et entretenues, et fortifiées par quelque mouvement des esprits [ animaux ] ».
Nous avons affaire ici, pour le moment, à un exposé très médical psycho-physiologique qui donne toute son importance au cerveau [ ce qui renvoie au § 196 des Principes de la Philosophie ( dédiés « à la Sérénissime Princesse Elisabeth, première fille de Frédéric, roi de Bohême, comte palatin et prince-électeur de l’Empire » ) : « Comment on prouve que l’âme ne sent qu’en tant qu’elle est dans le cerveau » [ qui explique que l’on peut ressentir des douleurs dans les doigts alors que le bras a été amputé ].
Descartes insiste beaucoup aussi sur la glande pinéale située an centre du cerveau qui permettrait l’interaction du corps sur l’âme et de l’âme sur le corps ( articles 31, 32, 50 ), ce qui implique « que le siège des passions n’est pas dans le cœur [ physiologique ] » (article 33 ). Cet argument n’est pas purement « physique » en pointant le rôle des nerfs : Descartes fait remarquer que « les astres sont aperçus comme dans le ciel par l’entremise de leur lumière et des nerfs optiques ». Cette analyse sera reprise philosophiquement par Malebranche ( De la Recherche de la Vérité, livre III, deuxième partie, chapitre I ) : « nous n’apercevons point les objets qui sont hors de nous par eux-mêmes », mais par nos idées. Ce qui enclenchera « l’idéalisme » de Berkeley où « être c’est être perçu » ( « esse est percipi »).
Key Word : passion, sang, cerveau, nerfs, objets hors de nous. Key Names : Descartes, Pascal, la princesse Elisabeth, la reine Christine, Casanova, Malebranche, Berkeley. Key Works : Patrice Tardieu, Casanova a-t-il aimé les femmes ? Philo blog, 3 novembre 2011 ; Le désir masculin et le désir féminin selon Casanova, Philo blog, 6 novembre 2011 ; Casanova, le peuple et la démocratie, Hobbes, Rousseau, Voltaire, Philo blog, 8 novembre 2011 ; Casanova, désir mimétique, médiation double, René Girard, philo blog, 14 novembre 2011 ; Le membre fantôme, ressentir quelque chose dans l’organe que l’on n'a plus ! Descartes, Ruyer, Philo blog 1 octobre 2014 ; Matière toujours incertaine; certitude de l’idée, de l’affection, de la pensée, Malebranche, Philo blog 9 juillet 2012 ; Idéalisme, phénoménisme, tout n’est qu'apparence, être c’est être perçu, Proust avec Berkeley, Philo blog, 28 janvier 2012. Descartes, Les Passions de l’âme ; Principes de la Philosophie. Pascal, Pensées. Malebranche, De la Recherche de la Vérité. Berkeley, Trois Dialogues entre Hylas et Philonous ; Des principes de la connaissance humaine.
Patrice Tardieu.


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7 octobre 2012 7 07 /10 /octobre /2012 19:57
Plongeon dans la passion, dans la mort, Phèdre, Racine, Aristote, Sénèque, sarcophage de Paestum.
Phèdre de Racine est la quintessence de la passion. Passion, c’est subir, « pâtir », être passif (cf.Aristote), être brûlé, ne pas pouvoir revenir en arrière. Les Stoïciens disaient (particulièrement Sénèque) qu’avant de plonger dans la passion, on peut résister à celle-ci, mais une fois que l’on a quitté la planche du plongeoir on ne peut plus, d’un mouvement arrière, y remonter à l’envers. Ce serait aller dans le sens contraire du temps et, dans la mythologie explicite à laquelle se réfère Racine dans cette pièce éponyme, aller contre le Destin, ce qui est impossible. C’était et c’est déjà le cas de sa mère Pasiphaé:
« O haine de Vénus! O fatale colère!
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère! »
de sa sœur:
« Ariane, ma sœur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée! »
d’elle-même:
« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée »
si bien que:
« Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable,
Je péris la dernière et la plus misérable ».
C’est pourquoi ses larmes ne cessent de couler:
« Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs ». Le Désir ici consume le Sujet, la violence de la passion fait céder tout côté rationnel d’une relation réciproque et le refus de l’autre ne peut que lui valoir la qualification de « cruel ».
Finalement, Phèdre choisit de « descendre chez les morts », c’est le plongeon dans la mort comme sur la fresque de la tombe de Paestum.
Key word
: passion, pâtir, être passif, ne pas pouvoir revenir en arrière, plongeon dans la passion, larmes, cruauté de l’autre, plongeon dans la mort.
Key names
: Phèdre, Pasiphaé, Ariane, Vénus; Aristote, Sénèque, Racine.
Key works
:Racine, Phèdre; Aristote Organon, Catégories, 11b, action, passion; Sénèque, De Ira, I,7; fresque décorant l’intérieur du sarcophage, tombe dite du Plongeur, à Paestum près de Naples.
Patrice Tardieu
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5 octobre 2012 5 05 /10 /octobre /2012 23:05
Jouissance des larmes chez Racine et Sade, Néron, Junie; Bérénice, Titus.
La passion racinienne anticipe sur la passion sadienne; Néron avoue:
« Excité d’un désir curieux,
Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes[…]
J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler ».
( Britannicus, Acte II, scène II,385-387 et 402)
On trouve cette même jouissance dans le personnage de Dubourg qui avait « une fantaisie aussi brutale que singulière: son unique passion consistait à voir pleurer »( Sade, Œuvres, tome II, p.402).Les yeux ne sont pas seulement propres à la tragédie racinienne des regards mais aussi à la jouissance des larmes.
Et je me demande si l’on ne pourrait pas faire un parallèle entre cette scène où Néron décrit Junie en larmes dont il se délecte et la description que Phénice fait de Bérénice dans « ce désordre extrême » avec « ces voiles détachés et ces cheveux épars », ces « pleurs »(Bérénice, acte IV, scène II). D’autre part, le monologue de Titus contredit la thèse « narcissique » de Roland Barthes (Sur Racine) puisqu’il se dit:
« Ah! lâche! fais l’amour, et renonce à l’Empire »(Bérénice, acte IV, scène IV).
Il est loin de ne pas désirer Bérénice.
La thèse de Sade je la retrouve dans la tirade de Bérénice (acte V, scène VI):
« Quoi!dans mon désespoir trouvez-vous tant de charmes?
Craignez-vous que mes yeux versent trop peu de larmes? »
Je pense que là encore il y a la jouissance des larmes et celle de les provoquer qui fustige la passion; et celle de faire pleurer les spectatrices, de la part de Racine.
Key word
: passion racinienne, passion sadienne, « j’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler », jouissance de voir pleurer, désordre extrême, voiles détachés, cheveux épars, « fais l’amour et renonce à l’Empire », pas de narcissisme mais désir de l’autre, charmes des larmes.
Key names
: Racine, Sade, Barthes; Néron, Junie; Titus, Bérénice, Phénice; Dubourg.
Key works
:Patrice Tardieu, Sentiments et Passion chez Sade et Racine (Philo blog, 26/10/2011); Racine, Britannicus, Bérénice; Sade, Œuvres; Barthes, Sur Racine.
Patrice Tardieu
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