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15 juillet 2015 3 15 /07 /juillet /2015 11:30

Ce qui fait qu’un être est lui-même, la sensation pure rêverie, l’œil qui se retourne révulsé, Comte.
Sartre critique la psychologie expérimentale qui objective toute chose et oublie notre surgissement en tant que moi, tout devenant une relation « magique » entre des objets. Mais cela pourrait bien être la subjectivité de l’expérimentateur en laboratoire ! Il y a oubli de l’ipséité [ ce qui fait qu’un individu est lui-même et pas un autre ] et le sujet devient une « cassette fermée » dans laquelle se trouve la sensation au sens expérimental [effet mécanique d’un stimulus artificiel ], contradiction dans les termes car à la fois interne et externe puisque donnant la clef de ce qui est extérieur, « pure rêverie de psychologue [ expérimental ] ».
Sartre reprend également la critique de l’introspection par Auguste Comte. On ne s’attendait pas à ce que Sartre mette ses pas dans ceux de ce polytechnicien philosophe. L’argument de Comte est le suivant : « L’esprit humain peut observer directement tous les phénomènes excepté les siens propres ». La seule exception est celle des passions car celles-ci sont différemment localisées des « fonctions observatrices » dans le cerveau . Mais les phénomènes intellectuels ne peuvent s’observer eux-mêmes : « L’individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l’un raisonnerait, tandis que l’autre regarderait raisonner. L’organe observé et l’organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l’observation pourrait-elle avoir lieu ? ». On ne peut pas plus calculer et s’observer en train de calculer. On ne peut être à la fenêtre et se regarder passer dans la rue, ni l’œil se voir lui-même en se retournant dans son orbite [ comme « l’œil révulsé » dans les textes hindouistes, Katha-Upanishad, IV, I ; et la phrase de Nietzsche : « Le satyre était un être sublime et divin au regard révulsé et douloureux de l’homme dionysiaque »].
Remarquons donc que la formule sartrienne sur l’impossibilité du « voir voyant » vient directement de la Première Leçon du Cours de Philosophie Positive d’Auguste Comte ! L’explication de Sartre est la suivante : si je pouvais voir mes yeux voyant « je prendrais alors le point de vue de l’autre : je verrais des yeux-objets, […] non pas une activité dévoilante [ cf. Heidegger ] ou constructive [ cf. Husserl ] ».
Key Word : critique de la psychologie expérimentale, critique de l’introspection, critique du « voir voyant ».
Key Names : Sartre, Comte, Husserl, Heidegger, Nietzsche.
Key Works : Patrice Tardieu, Être mieux apte à penser, agir et même aimer grâce au néo-fétichisme positiviste écologique, Comte, Philo blog 3 octobre 2014 ; La famille première unité sociale, la femme médiatrice, Lacan, de Bonald, Comte, Maurras, Philo blog 18 février 2015 ; La vérité comme dévoilement, non-oubli, la déhiscence, [ Heidegger ], Philo blog 7 juin 2011 ; Secret de la caresse et intentionnalité de la volupté vis-à-vis de l’avenir insaisissable, Husserl, Philo blog 28 décembre 2013 ; Satyre, symbole de la toute puissance sexuelle, regard révulsé, James Pradier, Upanishad, Honoré d’Urfé, Nietzsche, Philo blog 14 février 2013 ; Krishna sur le champ de bataille de Kuruxétra, deux fratries en guerre, Bhagavad-Gîtâ, « Ôm ! », Philo blog 28 avril 2013 ; Ce qui est né doit mourir, ce qui est mort doit renaître, âme immuable, ne pleurer ni les vivants ni les morts, Philo blog 30 avril 2013.
Auguste Comte, Cours de Philosophie Positive. Sartre, L’Être et le Néant. Husserl, Idées Directrices pour une phénoménologie, Méditations cartésiennes. Heidegger, Être et Temps, Le Principe de Raison. Nietzsche, La Naissance de la Tragédie. Textes hindouistes : Katha-Upanishad, IV ,I, [ le regard en dedans de soi, tourné vers l’intérieur ; regard « mystique » ], Bhagavad-Gîtâ [ j’ai consacré trente et un articles à cette œuvre , sur mon Philo blog du 28 avril 2013 au 29 juin 2013].
Patrice Tardieu.

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10 juillet 2015 5 10 /07 /juillet /2015 18:10

Monde concret de la réalité humaine, d’être là et d’avoir son point de vue, existence, néant.
En fait, Sartre est très proche de Descartes et de sa deuxième Méditation où ce dernier montre que notre esprit nous est « plus aisé à connaître » que la matière qui nous est étrangère et déceptive. Sartre oppose le monde « abstrait » des sciences physiques ( il cite Newton, Heisenberg, de Broglie, Einstein ) au monde concret de la « réalité-humaine » (cette expression ainsi écrite avec un trait d’union, est la première traduction du mot « Dasein », concept clef de Heidegger, par Henri Corbin, que Sartre rend, en suivant l’étymologie, par « être-là », « sur cette chaise, à cette table, au sommet de cette montagne » ). Il va nous expliquer également ce qu’il entend par la « facticité du pour-soi » qu’il a présentée comme « une nécessité ontologique [celle de « l’être » ] », c’est-à-dire le fait d’être un « pour-soi » ( « un être qui existe pour lui-même » par contraste avec « l’en-soi », la matière ). Cette nécessité repose paradoxalement sur une double contingence : je ne me suis pas créé moi-même, j’aurais pu ne pas être ( première contingence ), je vois tout d’un certain point de vue [ allusion à Leibniz et à sa Monadologie ? ] mais que mon point de vue soit engagé dans celui-ci précisément à l’exclusion de cet autre, celui-là, est aléatoire ( deuxième contingence ). L’être humain est donc un « néant qu’il a à être » (cette double « contingence » [ « néant » ] qui fonde son « être »). Mais alors il est bel et bien responsable de lui-même sans jamais pouvoir totalement se justifier. D’où l’importance de notre corps jeté au monde, par la naissance, où il se situe et qu’il dépasse.
Key Word : l’esprit, la matière, monde abstrait de la science, facticité du pour-soi, nécessité ontologique, pour-soi, en-soi, double contingence, néant que l’être humain a à être.
Key Names : Sartre, Descartes, Heidegger, Leibniz.
Key Works : Patrice Tardieu, Heidegger, le point de départ [ le Dasein ], I, II, III, IV, [ quatre publications ], Philo blog 5 juin 2011 ; Heidegger, l’être-à-la-mort, I, II [ deux publications ], Philo blog 6 juin 2011 ; L’être-au-monde, extase, temporellité, Heidegger, Philo blog 7 juin 2011 ; Angoisse, ennui, le Néant, l’Être, Heidegger, Philo blog 7 juin 2011 ; L’à-venir et le souci, Philo blog 7 juin 2011, La vérité comme dévoilement, non-oubli, la déhiscence, Philo blog 7 juin 2011 ; Primauté ontologique de la question de l’Être, monstration de l’apparaître, Heidegger, Philo blog 18 août 2013 ; Énigme de l’existence, le proche et le lointain, l’inutilisable, temporellité, dévalement, Heidegger, Philo blog 20 août 2013 ; Sombre nuit, secret, effroi intime, monde, finitude, esseulement, l’être-là, Novalis, Heidegger, Philo blog 22 août 2013; Retour sur l’existence première, deuil originaire, essence de la poésie, Hölderlin vu par Heidegger, Philo blog 24 août 2013 ; Secret caché, inquiétante étrangeté du « rentrer chez soi », retour à l’Être, Hegel, Heidegger, Philo blog 26 août 2013 ; Monades toutes nues, Louis XIV et l’Empire Ottoman, Informatique, Leibniz, N. Wiener, Philo blog 21 juin 2015.
Sartre, L’Être et le Néant. Descartes, Méditations. Leibniz, Monadologie. Heidegger, Être et Temps.
Patrice Tardieu.

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7 juillet 2015 2 07 /07 /juillet /2015 10:38

Toucher et être touché, mon corps objet dans le regard d’autrui, la vision renversée. Sartre.
Sartre va saisir à bras-le-corps, si je puis dire, la thèse de Maine de Biran que j’ai exposée, et proposer sa propre théorie. Il ne va pas accepter le réalisme de la « sensation d’effort » à « ce qui résiste ». Voici son argument : ma main révèle les objets et non elle-même. Je vois ma main comme je vois l’encrier. Lorsque le médecin examine ma jambe, ma perception visuelle englobe le médecin et ma jambe. En fait, nous voyons tous les deux ma jambe. Cependant lorsque je touche ma jambe, je la sens « touchée » ! Mais il suffit d’une piqûre de morphine pour ne rien ressentir ! Il y a donc là deux réalités différentes. La « double sensation » ( « toucher » et « être touché » ) cache « deux plans incommunicables ». Toucher ou voir ma jambe est un dépassement vers mes propres possibilités, par exemple la soulager : « Je lui suis présent sans qu’elle soit moi ni que je sois elle » (comme dans l’attitude du médecin ). Mes jambes peuvent me servir à courir ou à danser ; toutefois c’est les transformer en « mortes possibilités », car ce sont des possibilités d’action de mon « être-pour-autrui », quelque chose qui est de la perception d’autrui qui me fige dans son regard ( Sartre fait allusion au § IV, chapitre premier, de la troisième partie de l’Être et le Néant ) et donc qui rend « mortes » mes possibilités d’action avant même que je puisse me cacher. En conséquence « cette métamorphose doit entraîner nécessairement une cécité complète quant à ce qu’est le corps en tant que possibilité vivante de courir, de danser ». Mon corps est devenu un objet dans le regard d’autrui.
Sartre va prendre un autre exemple pour se faire bien comprendre, c’est le fameux problème de la « vision renversée ». Il se trouve que l’image projetée dans notre œil ( comme dans l’appareil photographique fabriqué à l’ancienne ) est à l’envers, c’est un effet d’optique bien connu, et pourtant nous la voyons à l’endroit ! Comment cela est-il possible ? C’est que l’image sur la rétine à travers le cristallin qui reflète par exemple une bougie, est sur « l’écran » de l’œil, à l’envers. Mais c’est une approche purement objective, celle d’autrui, ici de l’opticien, du physiologue. C’est « un œil mort » que nous considérons, non le corps vivant, « tout entier psychique » de l’être. Il n’y a pas à chercher à unir le corps d’un côté à l’âme de l’autre, comme le fait, à première vue, Descartes.
Key Word : la main, la perception, la double sensation, possibilités et mortes possibilités, la vision à l’envers que nous remettons subjectivement à l’endroit, le corps vivant tout entier psychique.
Key Names : Maine de Biran, Sartre, Descartes.
Key Works : Patrice Tardieu, Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerfs, cerveau, Philo blog 19 avril 2015 ; Joie, jouissance de l’âme, se donner au désir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote, Philo blog 23 mai 2015 ; Mon corps tel qu’il est pour moi, mon corps tel qu’il est pour les autres, mon être, Sartre, Philo blog 29 juin 2015 ; Notre corps subjectif, l’effort qui résiste, le moi, l’existence, la liberté, Maine de Biran, Philo blog 4 juillet 2015.
Sartre, L’Être et le Néant. Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie. Descartes, Méditations métaphysiques ; Les Passions de l’âme.
Patrice Tardieu.

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4 juillet 2015 6 04 /07 /juillet /2015 12:18

Notre corps subjectif, l’effort et ce qui résiste, le moi, l’existence, la liberté, Maine de Biran.
Dans cette approche du corps, Sartre va rencontrer la théorie de Maine de Biran, philosophe à la destinée singulière qui a fait partie des Gardes du corps de Louis XVI et qui a été blessé le 10 août 1792 lors de l’attaque des Tuileries par la Commune insurrectionnelle qui a instauré le régime de la Terreur. Sous Napoléon Premier, en 1805, il fait partie de l’administration créée par l’Empereur et devient sous-préfet, en Dordogne, à Bergerac, son lieu de naissance. Mais en 1812, membre du corps législatif, il s’oppose à Napoléon qui se lance dans la campagne de Russie, et publie sa théorie philosophique du moi dans son ouvrage intitulé Essai sur les fondements de la psychologie. Il refuse le dualisme cartésien de l’âme et du corps et se penche sur l’aperception que fait le sujet de son existence, relation de soi à soi. Il remarque aussi que la « statue » de Condillac, qui s’ouvre aux sensations progressivement, qui se confond avec l’odeur de rose qu’on lui présente, « n’existe pas pour elle-même » et n’a donc pas de véritable moi. Comment ce dernier peut-il naître ? « Le fait primitif du sens intime n’est autre que celui d’un effort voulu » qui s’oppose à une résistance qui n’est pas forcément celle du monde extérieur, force interne vivante consciente par le « sentiment primitif de l’effort ».
Maine de Biran se réfère à Leibniz et à sa définition de l’étendue telle qu’elle se manifeste au sens du toucher et de la vue réunis : « continuatio resistensis » ( « la continuité de ce qui résiste » ) et il l’applique à « la connaissance du corps propre » et à notre existence. C’est en quelque sorte notre corps subjectif ( le corps tel qu’il est pour nous ) qui est le plus important et qui constitue notre moi.
Maine de Biran s’attaque même aux physiciens qui réduisent la causalité à une simple succession de phénomènes ( les secrètes « lois de la gravitation » qui attirent à distance sans explication ; souvenons-nous de la « malle de Newton » pleine de papiers alchimiques ! ) laissant de côté toute compréhension de la causalité dans un mystère total. Il faudrait revenir à « l’expérience intérieure » du moi pour éclairer les choses.
La notion de liberté provient de mon corps sans obstacle, des mouvements de mes membres sans empêchement. L’idée de nécessité, de non-liberté, résulte des entraves à mon propre corps. Si nous n’avions pas ce sentiment de notre activité, de notre pouvoir d’agir, nous n’aurions pas non plus le sentiment de notre passivité ! Et si cela était dès l’origine de notre existence, il n’y aurait pas de moi qui pourrait juger ou reconnaître la non-liberté, la contrainte; il n’y aurait pas d’individu proprement dit ! On voit l’importance du corps dans cet Essai de Maine de Biran.
Key Word : l’aperception de notre existence, la relation de soi à soi, l’expérience intérieure du moi.
Key Names : Sartre, Maine de Biran, Descartes, Condillac, Leibniz.
Key Works : Patrice Tardieu, Sensualisme, jouissance du parfum, développement des sens, Proust avec Condillac, Philo blog 20 janvier 2012 ; Excès de sensibilité douloureuse et d’intellectualité, le moi de Proust, Philo blog 19 février 2012 ; Tendresse, temps, transparence des souvenirs, vision de l’âme, notre corps cet inconnu, cette pieuvre, Proust, Philo blog 11 mars 2012 ; Origine radicale des choses, raison suffisante de leur existence, l’être et le néant, Leibniz, Philo blog 30 novembre 2012 ; Explication physiologique cérébrale qui échoue à expliquer le pourquoi, le comment, des passions, Philo blog 30 novembre 2015 ; Mon corps tel qu’il est pour moi, mon corps tel qu’il est pour les autres, mon être, Sartre, Philo blog 29 juin 2015.
Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie. Descartes, Les Passions de l’âme. Condillac, Traité des sensations. Leibniz, Discours de métaphysique. Sartre, L’Être et le Néant.
Patrice Tardieu.

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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 12:15

Mon corps tel qu’il est pour moi, mon corps tel qu’il est pour les autres, mon être, Sartre.
Nous allons aborder le problème du corps développé dans la troisième partie, chapitre II, de L’Être et le Néant , de Sartre. L’obscurité de cette question vient du fait que l’on pose le corps comme une chose définie extérieurement alors que la conscience relèverait de l’intime et de l’intériorité. Comment relier en effet les pensées qui existent au plus profond de notre psyché avec cette chair analysée chimiquement ? Pour Sartre, les difficultés viennent du fait que « je tente d’unir ma conscience non à mon corps mais au corps des autres ». En effet le corps décrit comme étant des glandes, des organes, n’est pas « mon corps tel qu’il est pour moi ». On a pu voir des cadavres, ou avoir feuilleté un traité de physiologie et en conclure à l’identité de ces corps et du mien. C’est l’approche médicale qui ausculte ou qui opère ce corps tel qu’il est pour autrui. La radioscopie de mes vertèbres est une vue du « dehors », un « ceci ». C’est en raisonnant que je dirais que cette image représente « mes » vertèbres ou celles de quelqu’un d’autre ; j’en suis le « propriétaire », mais ce n’est pas « mon être ».
Cependant je peux toucher mes jambes ou mes mains. Grâce à un dispositif, peut-être est-il possible de voir un de ses propres yeux pendant que l’œil serait dirigé sur le monde extérieur. Mais dans ce cas, encore, « je suis l’autre », je saisis mon œil comme organe dans le monde. Je ne peux le « voir voyant » véritablement, comme un sujet percevant. « Ou bien il est chose parmi les choses, ou bien il est ce par quoi les choses se découvrent à moi ». Donc ou bien une attitude objective, étrangère à moi ; ou bien le monde vu par moi. « je vois ma main toucher les objets, mais je ne la connais pas dans son acte de toucher ». Le toucher est une chose, la connaissance médicale en est une autre. On peut dire ici que Sartre oscille entre un dualisme à la Descartes et une approche phénoménologique.
Key Word : mon corps, le corps des autres.
Key Names : Sartre, Descartes, Husserl.
Key Works : Patrice Tardieu, Qu’est-ce qu’un objet ? Philo blog 29 décembre 2006 ; Honte, regard, pour-autrui, pour-soi, en-soi, Sartre avec Proust, la transcendance transcendée, Philo blog 13 avril 2012 ; Trouble, gêne, honte, regard, yeux, pour-soi, en-soi, Sartre, Hegel, Lévinas, Proust, Philo blog 16 avril 2012 ; Objet, sujet, voyeur, face à face, présence, étant là devant, Dasein, Sartre, Heidegger, Proust, Philo blog 17 avril 2012 ; Féminité cachée de l’homme viril, ligne de fuite des apparences, jouer ce que l’on est. Sartre, Philo blog 22 mai 2014 ; Rêve d’engloutir le rêveur, Genet sans père ni mère, thèse de Sartre, les vraies sœurs Papin, Philo blog 24 mai 2014 ; Tourniquet des apparences, goût du néant, cérémonie schizophrénique, Sartre, Philo blog 26 mai 2014.
Sartre, L’Être et le Néant. Descartes, Méditations métaphysiques, Les passions de l’âme. Husserl, Méditations cartésiennes, Idées directrices pour une phénoménologie.
Patrice Tardieu.

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21 juin 2015 7 21 /06 /juin /2015 11:22

Monades toutes nues, Louis XIV et l’Empire Ottoman, Informatique, Leibniz, N. Wiener.
J’aimerais rectifier, si cela est possible, l’image désastreuse de Leibniz, propagée principalement par Voltaire dans Candide sous le personnage ridicule de Pangloss, devenu un conte universellement connu car livre de base pour apprendre le français, notamment dans les écoles américaines aux États-Unis et dans le monde entier.
Leibniz était-il un métaphysicien loin de toute science ? Nullement, il invente, en 1676, le calcul infinitésimal et l’algorithme qui convient, avec une symbolique universellement admise et féconde aujourd’hui.
Leibniz était-il un métaphysicien coupé des réalités et dangers politiques de son temps ? Rappelons qu’il a été un diplomate. Quelle était sa mission ? Elle consistait à persuader Louis XIV, son contemporain, de conquérir l’Égypte pour arrêter l’expansion de l’Empire Ottoman qui utilisera beaucoup les « mamelouks », ( « soldats-esclaves » achetés à l’âge de 9- 11 ans, très fidèles ) et qui, au cours des siècles, s’était emparé de : la Thrace, la Macédoine, la Bulgarie, Constantinople ( qui devient « Istanbul » ), la Serbie, la Bosnie, la Crimée, la Syrie, l’Égypte, la Hongrie, l’Algérie, la Tunisie, Chypre, la Crète, arrive, et en fait le siège, devant Vienne ! Mais Louis XIV s’était déjà engagé dans de nombreuses guerres et craignait peut-être d’affronter cet Empire musulman, ses mamelouks et ses janissaires (milice recrutée parmi les enfants enlevés aux peuples soumis ). Leibniz se tourna alors vers Charles XII, roi de Suède, qui ne put vaincre le russe Pierre le Grand en Ukraine et qui se réfugia auprès des Turcs qui le gardèrent prisonnier !
Revenons un instant à l’histoire de l’Égypte, objet des préoccupations diplomatiques de Leibniz, décrivons-la brièvement. Après l’époque des Pharaons, en 332 avant J.C. Alexandre le Grand la conquiert et y établit la civilisation hellénistique, à laquelle succède la période romaine à partir de 30 avant J.C., et le christianisme va s’y développer ; ensuite, de 395 à 639 après J.C. les chrétiens constituent l’Église « copte » ( du grec « aiguptos », « égyptien », mot que l’on trouve déjà chez Homère, Odyssée, 17, 448 ). A partir de 640 les troupes arabes la conquiert et l’Égypte est intégrée à l’Empire musulman. En 750, les Coptes ne sont plus qu’un quart de la population qui a été islamisée.
Ajoutons que Leibniz, qui, lui-même n’était pas vraiment enclin aux rites,( il refusa l’extrême onction au moment de mourir), en matière religieuse, œuvra pour l’œcuménisme des protestants avec les catholiques et écrivit dans ce but la Confessio Philosophi en 1673 qui est une réponse aux interrogations d’ Arnauld ( janséniste de Port Royal ). Mais ce n’est qu’en 2010 que fut publiée une Bible œcuménique réunissant les Églises chrétiennes, catholique, protestante et orthodoxe, admettant les livres « deutérocanoniques » disaient les catholiques, « apocryphes » affirmaient les protestants, comme par exemple les chapitres 13 et 14 qui racontent dans le Livre de Daniel, l’histoire de Suzanne et des deux vieillards, pourtant très célèbre grâce aux peintures de Véronèse, de Rembrandt, de Rubens et de Tintoret.
Leibniz peut-il aujourd’hui servir au renouveau de la métaphysique ? Je vais essayer de le prouver en citant, expliquant de façon moderne, commentant et illustrant la Monadologie que Leibniz a écrite en français. Qu’entend-il par « Monade » ( avec un « m » majuscule ) ? Le mot vient du grec « monos » qui signifie « seul, unique, solitaire, isolé, séparé » ; chez Leibniz, il s’agit de l’être un ( un collier, une machine, une armée n’est pas un être « un » ), du Sujet qui perçoit sur son « écran mental » ( c’est moi qui introduit ces derniers mots ) le monde de son point de vue unique, isolé, séparé. Tout ce que nous prenons pour une réalité extérieure provient de notre système perceptif intérieur. Et c’est pourquoi Leibniz écrit : « les Monades n’ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir » ( §7 ). C’est un « écran » intérieur que nous visionnons mais, comme c’est nous qui le visionnons, nous le prenons pour une réalité extérieure à nous-même, séparant le Sujet percevant de ce qu’il perçoit.
Cependant le Sujet n’est pas seul, il y a d’autres Monades uniques : « chaque Monade est différente de chaque autre. Car il n’y a jamais dans la nature deux êtres qui soient parfaitement comme l’autre et où il ne soit possible de trouver une différence interne, ou fondée sur une dénomination intrinsèque » ( §9 ). Il y a donc une multitude d’autres Sujets dans le monde avec leurs particularités propres.
D’où vient alors la diversité de ce que chacun perçoit ? Réponse de Leibniz : le changement est permanent et « les changements naturels des Monades viennent d’un principe interne, puisqu’une cause externe ne saurait influé sur son intérieur » ( §11 ). C’est la diversité interne de notre « écran » plein d’images mouvantes.
Qu’est-ce qui provoque ces images mouvantes ? La Perception interne qui concilie l’un et le multiple ( à l’intérieur de la moindre pensée, il y en a une multitude d’autres ) et qui rassemble tout cela par le Désir que Leibniz nomme dans son français « Appétition ». Il utilise aussi le mot « Entéléchie » qui vient d’Aristote, qui est la tendance de l’être à son accomplissement. Et il qualifie même les Monades « d’automates incorporels », « automate » signifiant au sens propre « ce qui se meut par soi-même » ; mais tout le paradoxe de ce que nous appelons « automates » qui ne sont que matériels, c’est qu’ils sont mûs par un mécanisme qui leur provient de l’extérieur par ceux qui les fabriquent ; ce ne sont donc pas des « auto-mates » au sens propre ! Ce sont des assemblages de rouages sans réelle unité par opposition au Monades que l’on pourrait nommer « âmes ». Leibniz fait ici une concession à condition de ne pas accorder à « l’âme » en question une conscience et une mémoire sans plongeon dans l’oubli de soi. En effet, la Monade peut s’évanouir ou être en sommeil profond sans aucun rêve ou avoir le vertige, mais elle a la capacité de revenir à soi ou de rêver, de se rétablir après un vertige ; de toute façon il y a une succession dans ses états et « le présent est gros de l’avenir » ( §22 ). Les Monades dans l’étourdissement ( ou l’inconscient ? ) sont « des Monades toutes nues » ( §24 ).
Mais qu’en est-il des rapports entre Monades ? Leibniz donne l’approche suivante : une Monade peut « rendre raison a priori de ce qui se passe dans l’autre » et avoir le pouvoir d’agir sur elle ; toutefois « ce n’est qu’une influence idéale d’une monade sur l’autre ». Revenons à l’explication « moderne » que j’ai donnée : ce ne sont que les connexions de deux écrans dans une relation virtuelle !
Je ne pense pas avoir trahi Leibniz en disant cela puisque Norbert Wiener, inventeur de la Cybernétique, ancêtre de l’Informatique, se réclamait de Leibniz !
Key Word : philosophie, métaphysique ; mathématicien, diplomate, historien, œcuméniste ; la Monade, le Sujet, le Point de vue ; changements, perceptions, désir, entéléchie ; influence virtuelle.
Key Names : Leibniz, Voltaire, Louis XIV, Charles II, Alexandre le Grand, Homère, Arnauld, Véronèse, Rembrandt, Rubens, Tintoret, Norbert Wiener.
Key Works : Patrice Tardieu, Y-a-t-il une connaissance exacte d’un être ? Proust avec Leibniz. Philo blog 15 janvier 2012 ; Impossibilité du baiser, goûter l’autre, les multiples visages, la monade, Leibniz, Proust, Shakti, Philo blog 5 mai 2012 ; Festin de l’amour, fusion mystique, jouissance de la substance, Hegel, Arnauld et Nicole, Couperin, Philo blog 15 mai 2012 ; Origine radicale des choses, raison suffisante de leur existence, l’être et le néant, Leibniz, Philo blog 30 novembre 2012 ; Leibniz, collier du Grand-Duc, du Grand Mogol, monade, machine, armée, lettre à Arnauld, Philo blog 2 décembre 2012 ; Le membre-fantôme, ressentir quelque chose dans l’organe que l’on a pas ! Descartes, Ruyer, Philo blog 1 octobre 2014. Homère, Odyssée, 17, 448. Aristote, Physique, livre III, 201 a, 15 -35 et 201 b, 5 -15 [ l’entéléchie ]. Voltaire, Candide. Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique de Port-Royal ou l’art de penser. Leibniz, Monadologie, Confessio philosophi, Lettres à Arnauld du 30 avril 1687 et du 9 octobre 1687.
Patrice Tardieu.

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13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 13:26

Explication physiologique cérébrale qui échoue à expliquer le pourquoi, le comment, des passions.
Descartes est embarrassé car l’explication physiologique cérébrale qu’il a tentée ne peut en aucune façon différencier l’orgueilleux enflé de fausses raisons, du vertueux qui est qualifié de vertueux à juste raison. J’ajouterais que quelle que soit l’imagerie cérébrale, par le sang « subtil » qui circule dans le cerveau ou la glande pinéale au centre de celui-ci chez Descartes, ou par les circuits électriques du cortex actuellement, elle n’explique ni ne montre les « passions de l’âme » ( ou, si l’on préfère le « ressenti » du patient ). Les affects bien ou mal fondés ont les mêmes mouvements cérébraux. Autrement dit, le sentiment peut être légitime ou illégitime, mais la manifestation des émotions est semblable, ou même encore plus accentuée dans l’erreur quand l’opinion sur soi-même, par exemple, est beaucoup trop avantageuse plutôt que modérée ( c’est ce que soutient Descartes! ). L’humilité « vicieuse » triomphe de l’humilité « vertueuse » étant donné que « ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont le plus sujets à s’enorgueillir » ; la seule différence que Descartes y voit, est le caractère plus fluctuant dans la « vicieuse » que dans la « vertueuse » qui suscite l’admiration en montrant la puissance et la fermeté du libre arbitre comparées à l’impuissance du sujet humain en général.
Ceci dit, les vertus sont liées à de bonnes habitudes ( une fois encore Descartes se rapproche d’Aristote et de son « hexis », « disposition permanente » à bien faire, en effet, « une hirondelle ne fait pas le printemps » Éthique à Nicomaque, I, 1098 a, 5-20 ).
Descartes en vient même à un oxymore puisque l’acte en question est à la fois une « action de vertu » et une « passion de l’âme », en même temps « active » et « passive » ! Le mieux, semble-t-il, est d’abord « d’exciter la passion et ensuite d’acquérir la vertu de générosité » qui est « un remède général contre tous les dérèglements des passions ». On doit dire que l’on ne voit pas très bien comment cela est possible : acquérir la vertu grâce à la passion pour ensuite lutter contre les passions ! Peut-être est-ce la même chose que la « mystique » pour Wittgenstein : utiliser l’échelle pour monter et la jeter ensuite ( Tractatus Logico-philosophicus, 6. 54 ).
Tirons donc la conclusion suivante : l’approche purement physiologique n’explique rien ni ne distingue rien puisque le « vicieux » comme le « vertueux » empruntent les mêmes circuits cérébraux !
Key Word : imagerie cérébrale, l’orgueilleux, le vertueux, les affects, l’humilité vicieuse et l’humilité vertueuse, puissance et fermeté du libre arbitre, impuissance du sujet humain, disposition à bien faire, action de vertu et passion de l’âme, générosité, mystique.
Key Names : Descartes, Aristote, Wittgenstein.
Key Works : Patrice Tardieu, Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerfs, cerveau, Philo blog 19 avril 2015 ; Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes, Philo blog 25 avril 2015 ; Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis, Philo blog 9 mai 2015 ; Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun, Philo blog 17 mai 2015 ; Joie, jouissance de l’âme, se donner au désir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote, Philo blog 23 mai 2015 ; Libre arbitre absolu ou degrés de liberté : de l’indifférence à la poursuite du pire ? Descartes. Philo blog 29 mai 2015 ; Homme cartésien, généreux, courtois, affable, humble, modeste, maître de ses passions, Philo blog 6 juin 2015. Descartes, Les Passions de l’âme. Aristote, Éthique à Nicomaque. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus.
Patrice Tardieu.

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6 juin 2015 6 06 /06 /juin /2015 19:52

Homme cartésien, généreux, courtois, affable, humble, modeste, maître de ses passions.
Descartes va aborder la « générosité ». Mais qu’entend-il exactement par ce terme ? Il ne s’agit pas d’être « charitable ». Je dirais qu’il le prend au sens latin de « generosus » comme dans l’expression « rex generosus ac potens », « un roi à la fois magnanime et, en outre, puissant » et que l’on retrouve chez Corneille : « La générosité suit la belle naissance » ( Héraclius, acte VI, scène 2 ) ou encore :
« Suis l’exemple, et fais voir qu’une âme généreuse
Trouve dans sa vertu de quoi se rendre heureuse » ( Pulchérie, acte II, scène 5) et même chez Racine : « J’aime, je l’avouerai cet orgueil généreux
Qui jamais n’a fléchi sous le joug amoureux » dit Aricie devant la résistance d’Hippolyte à ses désirs ( Phèdre, acte II, scène 1, vers 443- 444 ). Descartes introduit cependant une nuance importante : il ne suffit pas « d’être bien né », il s’agit de la « vraie générosité, qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer » grâce au bon usage de son libre arbitre absolu et de ses volontés, « ce qui est suivre parfaitement la vertu ». Notons que le mot « vertu » ( en latin « virtus » ) a beaucoup évolué puisqu’il qualifie au début le « vir », « l’homme », opposé à la femme, dans ses qualités « viriles », et que la vertu est devenue synonyme de « chasteté féminine » ! Descartes le prend au sens éthique, puisque la vertu « empêche qu’on ne méprise les autres » car toute personne peut y accéder par elle-même; le libre arbitre étant donné à tout être humain et ne dépendant en rien du fait d’avoir « plus de biens ou d’honneur », « plus d’esprit, plus de savoir, plus de beauté », finalement « toutes choses […] fort peu considérables ». Considérons que certains manquent de connaissance plutôt que de bonne volonté qui est ou qui peut être en chacun.
Descartes en vient à définir l’humilité de façon positive ( alors qu’en latin le mot « humilitas » est négatif : il désigne le peu d’élévation, la bassesse, la faiblesse jusqu’à l’abjection ), sans doute à cause du Christianisme, de l’abaissement de Jésus sur la croix, la fameuse « kénose », « déjection » qu’il est devenu, Épître de Paul aux Philippiens, II, 7 ; « Il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même la mort sur la croix » II, 8 [ comme un esclave ]. Cela me fait penser au « Piss Christ » d’Andrès Serrano, du Christ qui se pisse dessus, œuvre d’art qui a fait scandale, et qu’il a expliqué de la manière suivante : on l’a laissé plusieurs jours sur la croix, il a dû uriner et déféquer sur lui-même. L’approche de Descartes est moins dramatique, il veut définir « l’humilité vertueuse » : « Ainsi les plus généreux ont coutume d’être les plus humbles ».
Descartes va nous brosser le portrait de l’homme cartésien, si je puis dire. Il est « porté à faire de grandes choses » ( c’est le sens qu’il donne à « généreux » ), il méprise son propre intérêt, il est « courtois, affable et officieux envers chacun ». Remarquons que ce mot « officieux » vient du latin « officiosus » qui a deux sens opposés : il signifie « obligeant, serviable » ( comme ici chez Descartes ) mais aussi désigne les esclaves chargés de garder les vêtements des baigneurs dans les fameux bains romains, et qui est rejeté par Montaigne comme des « services rendus » indignes de l’amitié ( Essais, I, XXVIII ). De plus il est maître de ses « passions » ( désirs, jalousie, envie, haine, peur, colère ) car il ne dépend pas de ses ennemis qui voudraient le voir offensé. Sinon cela signifierait qu’il est orgueilleux et soumis à la flatterie, ce qui serait stupide ! Certains tombent même dans « la bassesse » que Descartes nomme « l’humilité vicieuse », car ils se sentent faibles, prétendent n’avoir aucun libre arbitre et ne pas pouvoir faire autrement, tout en s’en mordant les doigts ensuite. Ils accroissent leur dépendance vis-à-vis d’autrui qui doit leur fournir ce qu’ils désirent. Cependant « ceux qui ont l’esprit le plus bas sont les plus arrogants et superbes » [ du latin « superbia », fierté mal placée, insolence. Le dernier roi de Rome, de 534 à 510 avant J.C. nommé « Tarquin le Superbe » signifie « le violent, le tyrannique, le perfide » qui entraîna la chute de la royauté, d’autant que son fils Sextus méritait lui aussi ces qualificatifs, ayant violé une vertueuse dame romaine prénommée Lucrèce qui se suicida ]. « Ceux qui ont l’esprit faible et abject ne sont conduits que par la fortune » [ là encore, au sens latin de « fortuna », le hasard, le sort, la chance, la malchance ]. Et Descartes d’ajouter : « on voit souvent qu’ils s’abaissent honteusement auprès de ceux dont ils attendent quelque profit ou craignent quelque mal, et qu’au même temps ils s’élèvent insolemment au-dessus de ceux desquels ils n’espèrent ni ne craignent aucune chose ».
Concluons. Qu’est-ce qui distingue l’âme basse de l’âme généreuse ? L’âme basse est celle qui dépend entièrement d’autrui et des événements extérieurs, et qui prétend n’être responsable de rien. L’âme généreuse se prend en main et ne change pas d’attitude selon ce qui arrive ou pas. Descartes nous donne une leçon de courage.
Key Word : passions, générosité, vertu, humilité.
Key Names : Descartes, Corneille, Racine, Saint Paul, Andrès Serrano, Montaigne, Tarquin le Superbe, Sextus Tarquin violeur de Lucrèce.
Key Works : Patrice Tardieu, Incarnation, kénose, humiliation, abaissement. Jésus et la vidure du Tout Autre, viduité, isolement, Philo blog 25 mai 2012 ; Kénose de l’Être, Néant, liberté absolue et mort, crucifixion du réel, la terreur, la Révolution, Philo blog 4 juin 2012 ; Opposition inclination loi morale chez Kant, contradictions sursumées chez Hegel, le plérome de l’amour, Philo blog 5 avril 2012 ; Nostalgie infinie, effroi, douloureuse nécessité de la perte, transsubstantiation, kénose, Philo blog 7 juin 2012. Descartes, Les Passions de l’âme. Corneille, Héraclius, Pulchérie. Racine, Phèdre. Saint Paul, Épître aux Philippiens. Andrès Serrano, Piss Christ. Montaigne, Essais. Tite-Live, Histoire de Rome. Bronzino, Lucrèce [tenant la dague avec laquelle elle va se tuer après son viol ], Galerie Borghèse, Rome. Le Titien, Lucrèce, Hampton Court [ résidence royale près de Londres ]. Shakespeare, The Rape of Lucrece ( poème ).
Patrice Tardieu.

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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 11:43

Libre arbitre absolu ou degrés de liberté: de l’ indifférence à la poursuite du pire ? Descartes.
Descartes va analyser un cas particulier assez singulier en faisant une nouvelle distinction conceptuelle alors qu’il est arrivé à la fin de la deuxième partie, dans son ouvrage Les Passions de l’âme ,qui devait terminer son livre. Il se penche sur le cas d’un homme qui pleure son épouse morte alors qu’il serait fâché de la voir ressuscitée ! Voici comment il explique ce paradoxe : la tristesse (une des quatre « passions » qu’il a étudiée ) est due à tout ce qui accompagne les funérailles et à la perte d’une personne avec laquelle il était accoutumé d’échanger des propos sur toutes sortes de sujets, il aurait le plaisir de converser. « Son cœur est serré » et « quelques restes d’amour ou de pitié qui se présentent à son imagination tirent de véritables larmes de ses yeux ». Cependant il éprouve « une joie secrète » qui ne peut en aucun cas être anéantie par le chagrin, la mélancolie du deuil, la peine ressentie. Comment donc une « passion » ( ici la peine ) peut-elle être contrecarrée et par quoi ? Descartes invente le concept « des émotions intérieures », excitées « en l’âme et par l’âme même », qui s’opposent aux « passions » toujours causées par quelque chose d’extérieur qui se répercutent en nous et se manifestent corporellement comme les pleurs, les spasmes. Et il en tire une conclusion optimiste inattendue : on peut toujours lutter intérieurement contre ce qui nous arrive de l’extérieur et qui ne dépend pas de nous ( Descartes a retenu la leçon d’Épictète ) grâce à ce qui dépend de la force intérieure de notre âme.
Descartes avait donc achevé Les Passions de l’âme qu’il avait fait parvenir à la princesse palatine Elisabeth de Bohême et à la reine Christine de Suède, lorsqu’il décide, au moment de la publication, début septembre 1649, d’ajouter une troisième partie, avant son départ pour Stockholm où il mourra en février 1650 à cinquante quatre ans. Il avait abouti à la tranquillité de l’âme, mais il reprend l’étude des passions, cette fois-ci qualifiées de « particulières » par rapport aux « générales » qu’il avait étudiées. Il s’attaque en premier à l’estime et au mépris qu’il considère comme « des espèces d’admiration » ( au sens étymologique latin du verbe « admirari », « considérer avec étonnement » ) car l’estime « est excitée en nous par l’amour, et le mépris par la haine », et relèvent donc de l’inclination positive ou négative. A quoi veut en venir Descartes ? A l’opinion que l’on peut avoir de soi-même et qui « change même la mine, les gestes, la démarche ». On voit que Descartes est un fin observateur mais pas seulement, il s’agit de soutenir une thèse philosophique : pour quelle raison s’estimer ? C’est « l’usage de notre libre arbitre et l’empire que nous avons sur nos volontés » qui méritent louange ou blâme. Observons que Descartes, dans son dernier ouvrage donc, ne critique nullement le « libre arbitre » puisqu’il « nous rend en quelque façon semblables à Dieu en nous faisant maître de nous-mêmes, pourvu que nous ne perdions pas par lâcheté les droits qu’il nous donne » (article 152 ). La grandeur et la bassesse de l’homme proviennent donc de son libre arbitre.
Revenons d’abord à la quatrième Méditation. Le libre arbitre est le fait que l’homme est l’arbitre de lui-même : « nous pouvons faire une chose ou ne la faire pas, c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir, […] nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne ». Mais Descartes précise : « afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent ». En effet : « cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance, qu’une perfection dans la volonté ». Mais cette phrase de Descartes me semble mystérieuse : comment concilier l’idée de degrés de liberté avec ce libre arbitre absolu ?
Et Descartes conclut en présageant les choses dans le meilleur des mondes [ chez Leibniz, qui est beaucoup plus pessimiste, il faut ajouter « possible » ] : « car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent [ choisissant le bien et le vrai ]. » ( Méditations, 1641 ).
Dans sa lettre à Mesland du 9 février 1645, Descartes va modifier profondément ce dernier point de vue : « il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre liberté ». Et Descartes [ reprenant l’affirmation de Médée, « je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal ; Ovide, les Métamorphoses, VII : « video meliora, proboque, deteriora sequor » ] parle « de cette puissance positive que nous avons de suivre le pire, tout en voyant le meilleur ».
En fait, dans cette lettre, Descartes veut curieusement garder les deux définitions antithétiques ( « le plus bas degré de liberté » et « la faculté positive de se déterminer » sans poser aucun degré de liberté ) ; et il complique les choses encore en distinguant aussi les actions, avant l’accomplissement, avec cette puissance positive, et celles, pendant l’accomplissement, qui n’implique aucune indifférence étant donnée l’action en cours.
Key Word : passion, tristesse, joie secrète, émotions intérieures, tranquillité de l’âme, l’estime, le mépris, la volonté, la liberté. Key Names : Descartes, Leibniz, Épictète, Ovide. Key Works : Patrice Tardieu, Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerf, cerveau, Philo blog 19 avril 2015 ; Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes, Philo blog 25 avril 2015 ; Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis, Philo blog 9 mai 2015 ; Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun, Philo blog 17 mai 2015 ; Joie, jouissance de l’âme, se donner au plaisir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote, Philo blog 23 mai 2015. Descartes, Les Passions de l’âme ; Les Méditations, quatrième méditation ; Lettre à Mesland. Leibniz, Théodicée ; Confessio philosophi. Épictète, Entretiens ; Manuel. Ovide, Les Métamorphoses, VII.
Patrice Tardieu.

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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 13:12

Joie, jouissance de l’âme, se donner au désir, à l’amour, éviter la haine, prudence d’Aristote.
Se pose, pour Descartes, le problème de la haine. Celle-ci, même la plus infime, ne peut que nuire car elle nous ronge. La haine du mal nous pousse à l’action, mais cette dernière serait tout aussi bien accomplie par l’amour du bien, son contraire. Encore faut-il connaître ce bien ou ce mal. La douleur du corps et la haine du mal physique sont liées. Cependant en ce qui concerne l’âme, la haine du mal ne peut être sans tristesse, « le mal n’étant qu’une privation ». Je pense qu’ici Descartes reprend l’argumentation d’Augustin : Dieu ayant créé l’univers, le mal ne peut être une substance, c’est la privation d’un bien ( La Cité de Dieu, livre XI ). L’âme est faite pour « être, connaître et aimer » ( structure trinitaire chez Augustin ; comme le nœud borroméen qui relie trois cercles de Jacques Lacan, sa tripartition du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel ; le christianisme « est la vraie religion », « est le vrai dans la religion » dit-il dans sa leçon du 11 septembre 1973 ! Rappelons que son frère cadet, Marc-Marie Lacan, était moine en l’abbaye de Hautecombe ). L’exemple que donne Descartes est très simple : nous nous sommes éloignés de quelqu’un à cause de ses mœurs, mais nous nous privons, du coup, de sa conversation.
En ce qui concerne le désir, écrit Descartes : « il est évident que lorsqu’il procède d’une vraie connaissance il ne peut être mauvais ». De même, « la joie ne peut manquer d’être bonne ». En effet elle procure la jouissance de l’âme. Descartes se lance dans une hypothèse étonnante : « si nous n’avions pas de corps », alors qu’il n’a cessé de déployer tout l’arsenal physiologique pour nous expliquer les « passions » de l’âme [ la « passivité » de celle-ci ] ! Son argument est le suivant : si nous n’étions qu’une âme, il faudrait éviter toute haine et toute tristesse et se donner entièrement à l’amour et à la joie ; cependant nous avons aussi un corps et ces quatre passions peuvent être trop violentes. Seule la modération nous sauvera.
Descartes va rentrer dans une argumentation curieuse car on va le surprendre en train d’hésiter ! On a vu que la haine et la tristesse doivent être rejetées par notre âme, même si leur fondement est vrai, a fortiori s’il est faux. Mais que dire alors de l’amour [ je le rappelle, toujours au féminin chez Descartes ] et de la joie mal fondées ? En effet la joie sera plus fragile et l’amour plus déceptive. Cependant, pour Descartes, elles semblent préférables à la tristesse et à la haine liées à la méprise. Dans la vie, on ne peut échapper à certaines tromperies, mais il vaut mieux pencher du côté de celles qui nous rendent heureux plutôt que malheureux. « Une fausse joie vaut mieux qu’une tristesse dont la cause est vraie » (article 142 ) écrit Descartes. C’est ici qu’il hésite à propos de la haine et de l’amour ; peut-on soutenir le même type d’argument ? Lorsque la haine est basée sur des faits incontestablement nuisibles, elle nous pousse à nous éloigner de ce mal qui pourrait nous détruire, de cette personne qui peut nous blesser moralement et physiquement. Par contre l’amour « injuste » nous conduit à nous approcher d’un personnage inquiétant qui « nous avilit et nous abaisse ».
Descartes va, en quelque sorte, revenir sur ses pas, et reconsidérer le désir par rapport à tout ce qui règle nos mœurs. Finalement il va revoir ce qu’il a dit des quatre passions ci-dessus qu’il n’avait considérées qu’en elles-mêmes. C’est le point de vue de l’action dont il faut tenir compte. Or, toute passion dont la cause est erronée peut alors être jugée nuisible, et, inversement, si la cause est fondée, elle peut être utile. Descartes en arrive à une palinodie ( comme Socrate en ce qui concerne l’amour dans le Phèdre de Platon, 244 a- 257 b, ou Freud sur la séduction ou la vision de la scène primitive réelles ou fantasmées, à l’origine de la névrose ), de ce qu’il avait dit sur la « fausse joie » ; maintenant il soutient que tout fondement faux est mauvais et même que « la joie est ordinairement plus nuisible que la tristesse » ( article 143 ) qui, elle, donne de la retenue, de la crainte et finalement de la prudence, alors que la fausse joie nous rend écervelé, étourdi et sans jugement dans l’action. Descartes se rapproche dangereusement ( ! ) d’Aristote, de sa critique du « dérèglement » ( « akolasia », Éthique à Nicomaque, III, 15, 119 a 34, qu’il trouve infantile ), de son éloge de la « prudence » ( « phronèsis », I, 13, 1103 a 2 ) et de l’homme « sage », « prudent » ( « phronimos », II, 6, 1107 a 2 ).
Key Word : passion, action ; le mal est une privation, pas une substance ; l’âme est faite pour être, connaître et aimer. Key Names : Descartes, Augustin, Lacan, Platon, Freud, Aristote. Key Works : Patrice Tardieu, Lacan et la question du déclin de l’imago paternelle. La haine du père et de Dieu, Philo blog 13 février 2015 ; La famille première unité sociale, la femme médiatrice, Lacan, de Bonald, Comte, Maurras, Philo blog 18 février 2015. Descartes, Les passions de l’âme. Augustin, La cité de Dieu. Lacan, Les non-dupes errent [ Les noms du père ], Séminaire 1973- 1974. Platon, Phèdre. Freud, Cinq Psychanalyses. Aristote, Éthique à Nicomaque.
Patrice Tardieu.

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