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21 février 2011 1 21 /02 /février /2011 22:42

L’autre interprétation découle de ce monde de « fantasmes » dans lequel nous nous sommes introduits, celui de l’image et de l’imago de la femme imaginaire. En effet, l’histoire d’Antiochus et Stratonice est bien étrange puisqu’elle met en scène le fait que le père et le fils vont avoir pour épouse la même femme (ce qui est très exactement le cas d’Oedipe), contraire aux textes les plus anciens sur la prohibition de l’inceste. D’autre part, au-dessus du lit, il y a un bouclier et une lance. Quoi de plus normal pour un palais antique ? Certes, mais le bouclier porte la tête de Méduse, symbole bien connu du sexe féminin, que nul homme ne peut voir sans perdre les yeux (comme Oedipe et comme celui qui s’introduirait dans un harem), et une lance phallique en direction de Stratonice : imago maternelle et paternelle ! C’est Ingres qui mimait (mimétique platonicienne !) le personnage de Séleucos, du père-mère qui pleure auquel il s’identifiait. De plus, la perspective se dirige sur le sein de l’épouse d’Ingres jouant le rôle d’Erasistrate, le médecin de l’âme d’Antiochus. Enfin, l’aspect androgyne d’Antiochus semble pointer vers la bisexualité originaire de tout être humain ; à moins que, comme dans l’imaginaire infantile, il ne faille être une femme, pour être aimé du père ; tout ceci pouvant être lié à l’inversion du calque (inversion picturale, inversion musicale, inversion sexuelle).

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15 janvier 2011 6 15 /01 /janvier /2011 23:47

Au-delà de Platon, on pourrait en déduire que toutes les déformations du monde sensible sont légitimes (comme le fait Ingres avec les corps et parfois avec la perspective) puisqu’en ce domaine, il n’y a que décor de décor, corps de corps. Les tableaux sont des « assemblages » imaginaires de corps imaginaires. L’Odalisque est impossible à voir puisqu’elle a un dos qui n’existe pas et le fait qu’Ingres puisse pénétrer un harem pour la contempler est hautement improbable puisque le mot « haram » signifie en arabe « chose interdite et sacrée » : vision impossible pour un spectateur improbable. Tout n’est qu’image, tout est dans l’image : images d’images d’images jusqu’au vertige, miroirs de miroirs sans que rien ne soit que reflet.

 

 

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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 23:47

« un plaisir en trompe- l’oeil »

Platon République, IX, 583b

Deux nouvelles interprétations s’ouvrent alors à nous. L’une platonicienne, l’autre analytique. Rappelons que Plutarque, dont s’inspire directement Ingres pour son Antiochus et Stratonice, était platonicien. Platon nous explique au livre X de la République que notre monde sensible n’est qu’apparence, que le monde véritable est l’univers intelligible des Idées. Prenons un lit. Il est d’abord conçu par l’artisan dans sa tête, il conçoit le lit dans « le monde intelligible » avant de le fabriquer. L’objet artisanal découle donc des idées de celui qui le crée. Admettons maintenant qu’un peintre passe par là et représente ce lit, il n’arrive qu’en troisième position, il va calquer l’objet-lit qui lui-même est un calque de l’idée du lit qu’a eu son fabricateur. Observons maintenant le tableau d’Ingres : c’est le calque (de 1866) de la peinture (de 1840) qui représente en son centre un lit, lui-même le calque d’un lit scénique d’opéra qui est le calque d’une idée de ce lit dans la tête du décorateur (en l’occurrence Baltard qui a aidé Ingres pour ce décor) ! L’art est donc, comme le fait comprendre Platon, l’apparence d’une apparence d’une apparence...

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21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 00:07

La postérité a retenu de lui surtout ses portraits (qu’il faisait à contrecoeur) et l’audace des ses nus féminins et pourtant il est l’auteur de grandes compositions religieuses, historiques ou mythologiques. Il fut président de l’Ecole des Beaux-Arts et logé à l’Institut, mais détesta les jugements des autorités artistiques au point de ne plus exposer au Salon (la vitrine de l’art au XIXème siècle) après 1834 et de demander l’exil à Rome. Son apprentissage dans l’atelier de David et ses prix de dessin font de lui un anatomiste hors pair, mais il préfère suivre une courbe esthétique, rajouter des vertèbres incongrues, faire une « jambe sans nom, toute maigre, sans muscles, sans formes, et sans pli au jarret »6. Enfin, il est considéré comme peintre néoclassique à la précision extrême (particulièrement dans le rendu des tissus, des plissés, des turbans, des étoffes, des draps et des tentures), et néanmoins, avec raison, comme maniériste néogothique. Si quelqu’un fut « utraquistique », l’un et l’autre, l’autre et l’un, ce fut bien Ingres, « ce peintre chinois [sic! ] égaré dans les ruines d’Athènes » comme le caractérise un critique. Notons toutefois que la « faute » n’en revient pas à Ingres. Prenons le grand statuaire grec classique du Vème siècle av. J.C. qui délivra la sculpture de sa raideur et pesanteur égyptienne : « Polyclète recompose définitivement dans l’abstrait le mécanisme et les formes corporelles. [...] Le type classique est essentiellement inactuel. [...] En réalité, attitude et rythme sont inventés, purement artificiels »7.

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 00:00

« Je suis l’un et l’autre. »

Molière 

En fait, tout comme Séleucos, père d’Antiochus, est l’ancêtre éponyme des Séleucides, Ingres pourrait servir de modèle éponyme à notre méthode que nous avons baptisé « utraquistique », c’est-à-dire donnant des aperçus contradictoires qui, seuls, permettent d’éclairer l’action et l’ouvrage humains. En effet, Ingres est à la fois et contradictoirement le thuriféraire de l’académisme (il définit sa peinture comme « ce qui est sévère et noble ») et à l’origine de toutes les distorsions des modernes (Picasso a reconnu sa dette). Il est dessinateur avant tout (« le dessin est la probité de l’art », il « comprend les trois quart et demi de ce qui constitue la peinture » dit-il) mais aussi coloriste (rappelons-nous la délicatesse des tons dans la version du Musée Fabre ; ou encore le contraste entre la tonalité des rouges de la robe de Madame de Senonnes et celle des jaunes des coussins). Il fut un peintre officiel (il reçut des commandes de Bonaparte, puis du même devenu Napoléon, de Louis XVIII ; différents honneurs de Charles X, de Louis-Philippe, de Napoléon III, avant de devenir sénateur en 1862) et en même temps totalement vilipendé, à tel point qu’ils n’en dormaient plus, sa femme et lui, avant de savoir l’accueil fait à Antiochus et Stratonice qui avait été commandé par Ferdinand d’Orléans. Il fut le maître le plus conformiste (il se décrivait « conservateur des bonnes doctrines, non novateur ») et d’une sensualité subversive. Sa peinture était lisse, froide, sans émotion et pourtant animée par « le nerf et la rage ».

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13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 18:49

Toutefois, le jugement de Baudelaire est nuancé : « La place nous manque, et peut-être la langue, pour louer dignement la Stratonice, qui eût étonné Poussin » et il ajoute : « Une complication énorme de tons et d’effets lumineux n’empêche pas l’harmonie ». En revanche, l’art d’Ingres nous étouffe comme si nous respirions un air raréfié dans un « milieu qui imite le fantasmatique » et « qui troublerait nos sens par sa trop visible et palpable extranéité », « sensation puissante [...] d’un ordre quasi maladif, [...] sensation négative, si cela pouvait se dire ». Et Baudelaire d’insister sur le charme bizarre de l’oeuvre ingresque avec ses déformations : « Ses figures ont l’air de patrons d’une forme très correcte, gonflés d’une matière molle et non vivante, étrangère à l’organisme humain » et lorsque, quelquefois, elles sont vivantes « ce n’est pas M. Ingres qui a cherché la nature, mais la nature qui a violé le peintre »6.

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24 juillet 2010 6 24 /07 /juillet /2010 23:12

« Que cherche donc, que rêve donc M. Ingres ?  »

Baudelaire

De quoi est faite cette musique ? D’inversion (nous retrouverons ceci à la fin de notre article), de thèmes et de variations sur les mêmes motifs, d’interversion, de permutation, de renversements. Guillaume de Machaut composa un rondeau Ma fin est mon commencement, morceau de musique tout à fait identique qu’il soit lu à l’endroit ou dans l’autre sens, puisque les deux voix se croisent avec les mêmes notes, sauf que l’une commence avec les notes de la dernière à l’envers. On remarquera que la version de 1866 d’Antiochus et Stratonice est pratiquement semblable à celle de 1840 sauf qu’elle est inversée grâce au procédé du calque (tout ce qui est à gauche est à droite et inversement). J.S. Bach dans l’art de la fugue n’a écrit que deux pages, tout le reste n’ est que contrepoint et Mozart réutilisa ses concertos pour hautbois, en les transposant d’un ton, pour en faire des concertos de flûte ! Ingres de même fit la tête d’un ange dans le Voeu de Louis XIII que l’on retrouve dans le Bain turc ! Il peignit une femme moderne nue dormant en 1808 qu’il transposa exactement dans un cadre ottoman en 1839 (Odalisque à l’esclave) puis dans une scène mythologique en 1851 (Jupiter et Antiope). Mieux : il reprend des bras, des pieds, des morceaux de corps, qu’il réutilise dans divers tableaux. Nous avons vu que l’attitude de Stratonice provenait d’une sculpture antique et son visage d’une peinture de Raphaël. Faisons remarquer que le temple au-dessus du lit d’Antiochus est tout à fait semblable à celui de l’Apothéose d’Homère qu’exécuta Ingres pour un plafond du Louvre en 1827 ! Cette manière de procéder est délibérée chez Ingres qui nous donne à la fois la clef de sa technique et sa conception du beau antique : « A parler strictement les statues grecques ne surpassent la nature que parce qu’on y a rassemblé toutes les belles parties que la nature réunit bien rarement dans un même sujet. Tout ce que nous pouvons faire c’est de parvenir à en gérer l’assemblage » dit-il. C’est ce que Baudelaire (et tous les critiques après lui) prendra pour le manque d’imagination d’Ingres, forgeant, à partir de l’adjectif « hétéroclite », le néologisme d’« hétéroclitisme » pour caractériser son art, alors qu’il s’agit d’une démarche qui demande une certaine imagination. Ainsi le peintre Zeuxis utilisa pour modèle pas moins de sept jeunes filles pour brosser le corps unique de son Hélène de Troie, ce qui présuppose une certaine idée préconçue de la beauté. Encore plus, s’il s’agit d’un être divin, invisible, car, comme le dit le philosophe Plotin : « Ce n’est pas comme spectateur d’une réalité sensible que Phidias a sculpté Zeus, mais en le saisissant tel qu’en lui-même il fût apparu, pour peu qu’il eût voulu paraître aux yeux des hommes »5.

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25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 23:46

L’idée d’une « mise en scène » s’impose donc à nous. Et au sens propre, puisque, de ce nouveau point de vue, cette peinture d’Ingres nous apparaît comme la représentation d’un opéra. En effet, Ingres fit deux dessins à la mine de plomb et lavis vers 1801 et 1806 d’Antiochus et Stratonice (où les personnages sont disposés un peu autrement). Or, il y eut, en 1801, 1802 et 1806, représentation d’un opéra comique intitulé Stratonice en un acte et en vers, sur un poème d’Hoffmann et une partition de Méhul (l’auteur du chant du départ). On comprend mieux alors la gesticulation dramatique du « quatuor » ; l’aspect théâtral, avec draperies, rideaux, le petit temple grec qui semble un faux décor, les fresques pompéiennes improbables pour un palais syrien et le « solo » de Stratonice face au « trio », aux trois « voix » d’hommes (ténor qui peut monter assez haut, baryton, basse aux sonorités graves en général dévolues aux pères). La lyre est là pour nous rappeler qu’il s’agit d’une réalisation scénique d’un ouvrage lyrique ! Il y a donc transposition dans le domaine pictural des conventions de l’oeuvre musicale qu’Ingres connaît fort bien, ce qui éclaire d’autant plus l’incompréhension de Delacroix, uniquement « peintre ». C’est à l’opéra d’Ingres que ce tableau nous convie, à la musique picturale de celui-ci, à un artifice décidé et recherché.

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22 mai 2010 6 22 /05 /mai /2010 20:30

Mais peut-on dire qu’Ingres s’identifie au fils ? Nous avons le témoignage précieux de Raymond Balze qui peignit tout le fond du tableau de 1840 et acheva, à la mort du maître, celui de 1866. Ingres mimait à la perfection et sans crainte du ridicule, étant donnée sa corpulence, le personnage du père, Seleucos, pour servir de modèle (les élèves et condisciples d’Ingres ont toujours pris une part active dans ses oeuvres ; ainsi les fonds du portrait du peintre François-Marius Granet auraient été exécutés par Granet). Plus étonnant encore : c’est Mme Ingres qui joua le rôle du médecin très masculin et le peintre Hippolyte Flandrin, celui d’Antiochus allongé, que nous avions confondu avec une femme !

Cependant qui prit l’attitude pour l’idole ? Personne ! Il s’agit d’un marbre antique des Giustiniani, dit « la Pudicité », qu’Ingres avait copié durant son séjour à Rome et qu’il réutilisera dans son célèbre portrait en pied de la Comtesse d’Haussonville, à la longue robe ondulante de satin gris-bleu déployant sa magnificence. Il existe encore un très beau dessin du drapé de Stratonice au crayon noir et estompe sur papier beige, dont Degas s’inspirera sans doute. Le visage de l’idole ressemble à celui de la Fornarina, simple fille d’un boulanger, qui posa pour Raphaël et qu’il aima. Ingres représenta plusieurs fois cette intimité du peintre romain et de son modèle. David, qui avait eu le prix de Rome en 1774 avec un tableau intitulé Erasistrate découvrant la cause de la maladie d’Antiochus et chez qui Ingres avait étudié, avait représenté le peintre Apelle amoureux de son modèle Campaspe, maîtresse d’Alexandre le Grand (macédonien comme Démétrius) qui la lui avait finalement cédée 4 ! Une autre source pouvant être le tableau de Poussin la mort de Germanicus pour la gestuelle des personnages.

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 22:48

Voyons donc le tableau d’Ingres représentant cette scène. On pourrait penser d’un point de vue rapide que le personnage barbu du milieu est le jeune homme qui hésite entre une maîtresse allongée dont il malaxe la poitrine et l’amour défendu pour sa belle-mère. Mais non ! Le personnage étendu est Antiochus, malade d’amour, dont Erasistrate, le médecin, tâte le coeur et devine la passion pour Stratonice, « l’éternelle idole » (pourrait-on dire, selon l’expression de Rodin). Ce que nous avions pris pour une pleureuse, n’est autre que le roi Séleucos consterné et affaissé sur le lit !

On raconte qu’Ingres narrait cette histoire en pleurant. Pourquoi ? Il nous semble que cela vient de la description de la passion par Plutarque où puisaient déjà Racine et Corneille, mais surtout d’une expérience indirecte vécue par Ingres. Il connut le peintre Léopold Robert (paysagiste français de la campagne romaine) qui était éperdument amoureux de la princesse Charlotte Bonaparte à Venise et qui finit par se suicider malgré les efforts d’Ingres. On pourrait également admettre qu’il s’agit d’amour filial au point que ce récit de Plutarque lui tire des larmes. En effet, c’est le père d’Ingres qui lui a légué toute cette application dans ses activités de peintre et de violoniste, car Jean-Marie-Joseph Ingres, son père, était peintre, sculpteur, architecte et musicien, et lui apprit le dessin à partir d’estampes d’après Raphaël, Titien, entre autres, qu’il devait copier à la sanguine et la technique violonistique. N’oublions pas non plus qu’il était miniaturiste et que notre tableau est une « miniature historique », donc un hommage du fils au père.

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