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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 22:47
Platon, Aristote, Sénèque, Paul de Tarse,
l’esclavage, le féminin, Jean-Pierre Faye.
Jean-Pierre Faye soutient que pas un texte de lantiquité gréco-romaine ne souffle mot de lesclavage et quil ny a que Paul de Tarse qui en parle et qui affirmerait, de plus, légalité du masculin et du féminin. Cette thèse de Jean-Pierre Faye, comme toujours, est excessive. On ne peut dire que Platon ne se soucie pas de lesclave puisque Socrate enseigne à un jeune esclave la géométrie, propédeutique à la philosophie, dans le Ménon, 82b-85b. Aristote affirme que rien nest commun entre le maître et lesclave quand ce dernier est réduit à être « un instrument vivant » mais en tant quhomme il peut y avoir avec lui amitié (« philia » ), Éthique à Nicomaque, livre VIII. Surtout, Sénèque dans sa lettre 47 à Lucilius soutient que les esclaves sont semblables à nous et que seul le mérite compte. De plus Épictète, le grand maître du stoïcisme, était lui-même un esclave. Quant à Paul, dans son Épître aux Galates, 3,28, certes il écrit : « il ny a ni juif ni grec; ni esclave, ni homme libre; ni mâle ni femelle; car vous ne faites quun dans le Christ Jésus ». Mais aussi : « Femmes soyez soumises à vos maris [] Serviteurs, obéissez en toutes choses à vos maîtres » ( Épître aux Colossiens, 3, 18-22 ).

Key word

: esclavage, enseignement de Socrate à un jeune esclave, on ne peut avoir damitié réciproque avec une machine mais on le peut avec un esclave, les esclaves nos semblables dans la philosophie de Sénèque, Épictète lui-même un esclave, ambiguïté des écrits de Paul sur lesclavage et la femme.

Key names

: Jean-Pierre Faye; Platon, Aristote, Sénèque, Épictète; Paul de Tarse.

Key works

: Ménon, 82b-85b ( Platon ), Éthique à Nicomaque, livre VIII ( Aristote ), Manuel, Entretiens ( Épictète ), Épître aux Galates, 3, 28, Épître aux Colossiens, 3, 18-22 ( Paul ).

Lîle de notre nostalgie ( 2.4.a ).

Patrice Tardieu

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 22:59
Trois Marie, deux Lacan, un Freud; Matthieu, Marc, Luc, Jean, Philippe, Grégoire le Grand, les mormons.
Le frère cadet de Jacques Lacan, Marc-Marie Lacan se fit moine et devint Marc-François Lacan en
l’abbaye de Hautecombe. Or les moines de Hautecombe dans leur Missel soutiennent, semble-t-il, une sorte de synthèse « hégélienne » de Marie « de Béthanie », de Marie « de Magdala », témoin de la résurrection de Jésus qui lui dit « Ne me touche pas » ( « Noli me tangere » ), et de la femme « pécheresse » souvent surnommée « Marie-Madeleine »: « Toutes trois parfument, en divers occasions, le corps du Christ. La liturgie romaine voit en elles une seule femme, femme perdue si pleinement purifiée par lamour de Jésus quelle est devenue lamie privilégiée de son sauveur ». Peut-être reprennent-ils ces trois images de la femme que déjà Grégoire le Grand superposait, ou lÉvangile apocryphe et gnostique de Philippe où il est dit que « le Sauveur aimait Marie plus que tous les disciples et lembrassait souvent sur la bouche » déclenchant la jalousie des disciples. Est-il vraiment scandaleux que Jésus ait pu avoir une épouse ? Ses disciples ( dans Jean, 11, 8 ) lappellent « Rabbi » et Marie de Magdala, « Rabbinou », diminutif plein daffection; or il nest nullement interdit à un rabbin de se marier, au contraire. Paul, dans son Épître à Timothée, 3, 2, recommande seulement aux évêques dêtre monogame. Précepte qui ne fut pas observé par les mormons jusquen 1890. Limage de ces trois Marie me fait irrésistiblement penser à un texte de Freud qui remarque que la femme apparaît à lhomme dans la littérature, la mythologie, les contes et dans les rêves sous trois figures : la mère qui lui donne vie, lépouse, « la silencieuse déesse de la mort qui le prendra dans ses bras ». Jajouterais que cest ce que dit Jésus : « En répandant ce parfum sur mon corps, elle la fait pour ma sépulture » ( Matthieu, 26, 12; Marc, 14, 8 ).

Key word

: synthèse hégélienne, une seule femme, Jésus lembrassait sur la bouche, monogamie recommandée, les trois images de la femme, la fille, la mère, la mort.

Key names

: Jacques Lacan, Marc-Marie Lacan, Freud; Marie de Béthanie, Marie de Magdala, Marie-Madeleine, Jésus, Grégoire le Grand, Paul, Matthieu, Marc.

Key works

: 1) textes religieux: Évangiles selon Matthieu, Marc, Luc, Jean; Philippe; Épître de Paul à Timothée; le Livre de Mormon ( 1830 ).2) texte psychanalytique: le Motif du choix des coffrets ( 1913, Freud ).3) arts: la Madeleine enlaçant Jésus crucifié ( sculpture dAuguste Rodin ), le Christ avec Marie et Marthe ( peinture dAlessandro Allori, 1605 ), le Christ dans la maison de Simon ( peinture de Girolamo di Romano ).

Lîle de notre nostalgie ( 2.3.z ).

Patrice Tardieu

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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 21:33
Festin de l’amour, fusion mystique, jouissance de la substance, Hegel, Arnauld et Nicole, Couperin.
Nous avons vu un certain « sensualisme » du christianisme avec Marie-Madeleine qui inonde de ses larmes les pieds de Jésus, les essuie avec ses cheveux, les baise de sa bouche et loint dhuile parfumée. Hegel insiste sur le « festin de lamour » ( « Feier eines Mahls der Liebe » ) quest la Cène. Lamour y est « présent » ( « vorhanden », « sous la main »; expression très utilisée ensuite par Heidegger ) et surtout une fusion « mystique » ( qui nest pas encore la « religion » selon Hegel ) autour du corps du Christ. Cependant elle nest pas aussi complète que celle de lantiquité : « quand des amants font un sacrifice devant lautel de la déesse de lamour et quand, dans leur prière, leffusion de leur sentiment en exalte au plus haut point la flamme, la déesse en personne est entrée dans leurs cœurs, mais limage de pierre se tient toujours devant eux ». Lidentité de lidentité ( la déesse Aphrodite en personne ) et de la différence (le marbre qui la représente ) saccomplit donc dans le paganisme et sélève au religieux, puisque la pierre nest pas poussière, en dépassant la mystique selon Hegel. Alors que lorsque Jésus, après avoir rompu le pain, dit : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous » ( « Touto esti to sôma "mou" [ génitif de egô, « moi » en grec ] », Luc, XXII, 19, Hegel commente : « quelque chose de divin avait été promis et il sest dissous dans la bouche ». Toutefois Antoine Arnauld et Pierre Nicole expliquent de la façon suivante lhostie de leucharistie : « nous ny voyons que les espèces et les apparences du pain qui demeurent, quoique la substance ny soit plus » ( puisque cest celle de Jésus qui sy trouve que nous devons goûter, et dont la jouissance sera exulté en musique par François Couperin).

Key word

: sensualisme du christianisme, la Cène festin damour, fusion mystique, corps du Christ, ceci est ( moi ) mon corps, hostie de leucharistie, apparence du pain, jouissance de la substance, exaltation.

Key names

: Marie-Madeleine, Jésus, Luc; Hegel, Heidegger, Arnauld et Nicole; François Couperin.

Key works

: lEsprit du Christianisme ( Hegel ); Luc, XXII, 19; Logique de Port Royal, partie IV, 12 ( Arnaud et Nicole ); motet « Venite exultemus Domino » pour deux sopranos ( François Couperin ).
Lîle de notre nostalgie ( 2.3.y ).
Patrice Tardieu
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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 20:37
Identité dans la différence de la religion polythéiste et monothéiste; « Noé » biblique, mythologique grec antique, mésopotamien, Deucalion et Pyrrha, Gilgamesh et Outa-napishtim.
Revenons également à Hegel et à ses Écrits théologiques de jeunesse. Il oppose la solution d’Abraham et de Noé qui consiste à séparer totalement Dieu de l’univers, puisque la Nature avec le déluge est devenue hostile à l’homme, à la solution grecque antique de réconciliation avec le Monde. Mais Hegel ne montre pas la grande identité dans la différence des deux religions : Zeus en colère contre les exactions de l’homme ( tout comme Dieu en colère contre le crime fratricide de Caïn commis sur son frère Abel ) provoque un déluge. Sur les conseils de Prométhée, Deucalion et son épouse Pyrrha montent dans une barque qui échoue sur le Parnasse et ils repeuplent le monde en jetant une pierre dans leur dos, celle-ci jetée par Deucalion devient un homme, par Pyrrha une femme. Et il y a un autre « Noé », pas seulement dans la mythologie grecque, comme nous venons de le voir, mais aussi mésopotamienne, l’épopée de Gilgamesh, avec le personnage de Outa-napishtim qui a l’ordre de construire un vaisseau avant le déluge pour « y mettre la semence de tous les êtres vivants ». On croirait lire la Genèse, VI, 19.
Key word
: le déluge, la nature hostile à l’homme, l’identité dans la différence de la religion polythéiste et monothéiste, colère de Dieu contre l’homme, le « Noé » biblique, le « Noé » de la mythologie grecque, le « Noé » de l’épopée mésopotamienne.
Key names
: Hegel; Abraham, Noé, Abel, Caïn; Zeus, Prométhée, Deucalion, Pyrrha; Gilgamesh, Outa-napishtim.
Key works
: L’Esprit du Christianisme ( Hegel ), Glas ( Derrida ), Genèse, VI, 19.
L’île de notre nostalgie ( 2.3.x ).
Patrice Tardieu
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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 23:00
Baiser impossible, baiser défendu, baiser sur la bouche à une divinité qu’il ne faut pas embrasser, Dieu l’Un, Zeus, Athamas et Prixos.
J’ai trouvé un autre « baiser impossible »…dans le Premier livre des Rois, XIX, 18, de l’Ancien Testament ! Il s’agit, en fait, d’un baiser défendu : le baiser sur la bouche à une divinité païenne que Dieu ( « Yahvé » ) condamne. On est un peu surpris de voir le Dieu unique en lutte avec une divinité qu’il ne faut pas embrasser. On connaît la fameuse affirmation qui fait de Dieu, l’Un ( Deutéronome, VI, 4). En fait, le credo monothéiste s’est d’abord nourri d’un très long passé polythéiste. Je renvoie aux leçons très érudites et très complètes faites par Thomas Römer sur ce sujet : Le Dieu Yhwh [ Yahvé ], ses origines, ses cultes, sa transformation en Dieu unique. Pour ma part, je reviens sur le sacrifice d’Abraham qui est en résonance avec une très vieille légende grecque, celle d’Athamas et de son fils Prixos. Faisant suite à un oracle de Delphes, Athamas va le sacrifier au sommet d’une montagne [ comme Abraham ]. Surgit alors un bélier, envoyé sans doute par Zeus, qui l’enlève. Celui-ci, reconnaissant, l’offre en sacrifice à Zeus ( notons que le nom « Dieu » vient de « Dios », génitif du mot « Zeus » ).
Key works
: baiser impossible, baiser défendu, baiser sur la bouche à une divinité qu’il ne faut pas embrasser, Dieu l’Un, credo monothéiste au long passé polythéiste, vieille légende grecque, étymologie du mot « Dieu ».
Key names
: Yhwh, Yahvé, Dieu; Abraham; Baal divinité locale; Athamas et son fils Prixos; Zeus, Dios; Thomas Römer.
Key works
: Bible ( traduction de Louis Segond ) I Rois, XIX, 18 : « …dont la bouche ne l’a point baisé »; Deutéronome, VI, 4. Le Dieu Yhwh, ses origines, ses cultes, sa transformation en Dieu unique, cours du Collège de France, 2012 ( Thomas Römer ).
L’île de notre nostalgie ( 2.3.w ).
Patrice Tardieu
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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 22:00
Impossibilité du baiser, goûter l’autre, les multiples visages, la monade, Leibniz, Proust, Shakti Devi.
Proust va nous faire la démonstration de l’impossibilité du baiser ! Il part du point de vue perspectiviste qu’une même personne peut être perçue de cent manières différentes, toutes légitimes. Il avait lui-même, depuis la plage de Balbec jusqu’à maintenant, observé de multiples Albertine et donc une multiplicité d’individualités de celle-ci. Il ne va pas jusqu’à dire, comme Leibniz, que chaque monade contient de son point de vue l’univers tout entier et est en relation avec lui. Il s’en tient, pour l’heure, à la simple approche pour donner un baiser. Mais justement au fur et à mesure qu’il se rapproche, « en accélérant prodigieusement la rapidité des changements de perspective et des changements de coloration que nous offre une personne dans nos diverses rencontres avec elle », cela recrée « expérimentalement le phénomène qui diversifie l’individualité d’un être » comme s’il tirait « toutes les possibilités qu’il renferme ». Albertine est alors « une déesse à plusieurs têtes » ( comme par exemple, dans l’hindouisme, Shakti Devi ), dont les visages se succèdent en quelques secondes. Il est maintenant sur le point de l’embrasser. « Mais hélas ! car, pour le baiser, nos narines et nos yeux sont aussi mal placés que nos lèvres, mal faites, tout d’un coup, mes yeux cessèrent de voir, à son tour mon nez, s’écrasant, ne perçut plus aucune odeur [ il sentait, juste avant, « un léger parfum » qui venait d’elle ], et sans connaître pour cela davantage le goût du rose désiré », il se rend compte «  à ces détestables signes » qu’il est en train de l’embrasser !
Key word
: l’impossible baiser, perspectivisme, multiplicité d’individualités, la monade leibnizienne, les possibilités que renferment un être, les différents visages, le goût désiré.
Key names
: Leibniz; Proust, Albertine; Shakti Devi.
Key works
: la Monadologie ( Leibniz ), le Côté de Guermantes ( Proust ).
L’île de notre nostalgie ( 2.3.v ).
Patrice Tardieu
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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 22:51
Connaissance par la bouche, baiser, lèvres, photographie, perspectivisme, Proust, Nietzsche, Condillac.
Proust poursuit ses considérations sur le baiser et la connaissance par la bouche : « les lèvres, faites pour amener au palais la saveur de ce qui le tente, doivent se contenter, sans comprendre leur erreur et sans avouer leur déception, de vaguer à la surface ». Et il en vient au moment précis de la connexion qui n’est qu’une errance au hasard, perdue dans une vaine recherche : « à ce moment-là, au contact même de la chair, les lèvres, même dans l’hypothèse où elles deviendraient plus expertes et mieux douées, ne pourraient sans doute pas goûter davantage la saveur que la nature les empêche actuellement de saisir ». En effet, celles-ci, « dans cette zone désolée où elles ne peuvent trouver leur nourriture, sont seules ». Le rapprochement considérable modifie totalement la vue et l’odorat ( cher à Condillac dans son Traité des Sensations ). Les joues, le cou ne sont plus les mêmes. Proust se lance alors dans une comparaison avec la photographie et les déformations de perspective que produisent le téléobjectif ou au contraire le grand angle, où l’un rapproche de manière inattendue et l’autre déforme grandement les pourtours. Dans ce « perspectivisme » qui se trouve déjà chez Nietzsche qui explique la grande différence entre regarder d’en haut ou d’en bas, les valeurs changent.
Key word
: le baiser, la connaissance par la bouche, les lèvres, la saveur, le contact de la chair, goûter la saveur, la vue, l’odorat, les déformations, la photographie, le perspectivisme.
Key names
: Proust, Condillac, Nietzsche.
Key works
: Par-delà Bien et Mal ( Nietzsche ), Traité des Sensations ( Condillac ), Le Côté de Guermantes ( Proust ).
L’île de notre nostalgie ( 2.3.u ).
Patrice Tardieu

 

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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 22:13
Y-a-t-il connaissance par les lèvres, organe spécifique au baiser ? Proust, Condillac, Ionesco.
Nous allons quitter le saxophone alto langoureux, flamboyant et plein de luxure de Hodges, en solo accompagné de l’orchestre, interprétant « Prelude to a kiss », composé par Ellington en 1938 ( qui sera chanté par Lady Day, Billie Holiday en 1955 ), et retrouver Le Côté de Guermantes de Proust ( 1920-1921 ). Le « prélude à un baiser » que nous avons analysé n’est pas sans poser un problème philosophique : y-a-t-il une « connaissance par les lèvres » ? On sait que le sensualisme de Condillac répondrait par l’affirmative. Voici la thèse de Proust : on pourrait penser que le narrateur va finalement connaître le « goût » de la chair de la jeune femme, acquérir enfin cette « connaissance par les lèvres ». Il n’en est rien, c’est une illusion : « l’homme, créature évidemment moins rudimentaire que l’oursin ou même la baleine, manque cependant d’un certain nombre d’organes essentiels, et notamment n’en possède aucun qui serve au baiser. A cet organe absent il supplée par les lèvres, et par là arrive-t-il peut-être à un résultat un peu plus satisfaisant que s’il était réduit à caresser la bien-aimée avec une défense de corne ». On remarquera l’humour corrosif et impitoyable de Proust qui anticipe sur Ionesco.
Key word
: saxophone langoureux flamboyant et plein de luxure, « Prelude to a Kiss », prélude à un baiser, la connaissance par les lèvres, sensualisme, le goût de la chair, l’homme ne possède aucun organe absolument spécifique qui serve au baiser.
Key names
: Proust, Condillac, Ionesco; Hodges, Ellington, Billie Holiday.
Key works
: Traité des Sensations ( Condillac ), Le Côté de Guermantes ( Proust ), Rhinocéros ( Ionesco ), Prelude to a kiss ( Ellington ).
L’île de notre nostalgie ( 2.3.t ).
Patrice Tardieu
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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 21:14
Prélude à un baiser, connaissance par les lèvres, anamnèse, Proust, Platon, Duke Ellington.
Le narrateur veut différer le baiser à Albertine, si elle lui promet de l’embrasser ensuite, et, pour ne pas oublier cette promesse, de lui donner « un bon pour un baiser ». Elle demande s’il faudrait qu’elle le signe. Il se ravise et aimerait l’embrasser tout de suite, mais alors il lui faudrait un « bon pour un baiser » pour plus tard. Elle s’en amuse et s’engage à lui en signer de temps en temps. Ce marivaudage le lance dans une méditation sur Albertine reliée à « toutes les impressions d’une série maritime ». Il lui demande ce qu’elle avait pensé de la jeune fille qui avait sauté par-dessus un vieillard apeuré dans sa chaise longue à Balbec. A l’époque, telle qu’Albertine lui était apparue, il avait cru percevoir un grand amusement dans ses « deux yeux verts dans une figure poupine qui exprimèrent pour cet acte une admiration et une gaieté […] avec une timidité honteuse et fanfaronne ». Et il l’avait prise pour dévergondée comme le reste de la « petite bande ». La réponse d’Albertine contredit, sans le savoir, l’hypothèse qu’il avait échafaudée dans sa tête à l’époque : « J’ai dû penser qu’elle était bien mal élevée et commune ».
Il reprend l’anamnèse de la jeune femme : « j’aurais bien voulu, avant de l’embrasser, pouvoir la remplir à nouveau du mystère qu’elle avait pour moi sur la plage avant que je la connusse, retrouver en elle le pays où elle avait vécu auparavant; […] insinuer tous les souvenirs de notre vie à Balbec, le bruit des flots sous ma fenêtre, les cris des enfants ». Enfin il va pouvoir donner un baiser à la jeune femme, avoir d’elle «  la connaissance par les lèvres ».
Key word
: un bon pour un baiser, marivaudage, impressions d’une série maritime, anamnèse d’une vie antérieure, connaissance par les lèvres.
Key names
: Proust, Albertine.
Key works
: A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Le côté de Guermantes ( Proust ), Phèdre ( Platon ), Prelude to a kiss ( Duke Ellington ).
L’île de notre nostalgie ( 2.3.s ).
Patrice Tardieu
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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 22:56
J’ai vu de dos celui qui a posé son regard sur moi, l’Autre, voir Dieu face à face, thanatos, Sartre, Thomas Römer.
Je reviens un instant sur le problème d’une personne « perçue de dos » et sur celui du « face à face ». Je rappelle que « l’objet » est ce qui est « là devant » (« objectum ») sans aucun jugement de valeur, par exemple Pierre regarde Jacques implique que Jacques est « l’objet » du regard de Pierre, et que Pierre est dans la position de « sujet » qui regarde, ou inversement si c’est l’inverse. Cette problématique longuement étudiée avec de nombreux concepts par Sartre dans l’Être et le Néant ( p.310 à p.364, éd. Bibliothèque des Idées ) est , sans qu’il le sache, à la base, un problème biblique ! La traduction de Genèse, 16,13 est reconnue comme très difficile. Il s’agit de Hagar, la servante égyptienne avec laquelle Abram ( qui deviendra Abraham ) va avoir un fils, Ismaël. La traduction de Frédéric Boyer et Jean L’Hour va retenir notre attention : « Elle donna à Yhwh [ Yahvé, un des noms de Dieu dans l’Ancien Testament ], qui lui avait parlé, le nom d’El-Roï [ qui signifie « Dieu qui me voit »]. Car, dit-elle, ici j’ai vu de dos celui qui a posé son regard sur moi ». Selon Thomas Römer, le texte massorétique ( celui que nous avons est celui des massorètes qui l’ont fixé ) est surprenant et intraduisible, elle voit de dos ! Il s’agirait d’une correction dogmatique qui veut éviter qu’Hagar vît Dieu en face à face alors que cela a été impossible à Moïse ! Le texte en grec ( traduction d’un texte plus ancien non déformé ) dit : « J’ai vu Dieu et je suis restée en vie ».Or, dans l’épisode du buisson ardent, « Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu » ( Exode, 3, 6 ). On ne doit pas voir l’Autre face à face, sinon au moment de la mort.
Key word
: perçu de dos, face à face, objectum, objet là devant, objet du regard, sujet qui regarde, j’ai vu de dos celui qui a posé son regard sur moi, elle voit de dos, texte massorétique, voir Dieu face à face, j’ai vu Dieu et je suis restée en vie, cacher son visage par crainte de voir Dieu et périr.
Key names
: Sartre; Hagar, Abram ( Abraham ), Ismaël, Moïse; Yhwh ( Yahvé ), El-Roï; Frédéric Boyer, Jean L’Hour; Thomas Römer.
Key works
: l’Être et le Néant ( Sartre ); la Bible, nouvelle traduction, éd. Bayard, 2001; Genèse 16, 13; Exode, 3, 6; Thomas Römer, cours du Collège de France, 2009, la formation du cycle d’Abraham.
L’île de notre nostalgie ( 2.3.r ).
Patrice Tardieu
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