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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 12:24

Dissimuler ou déclarer sa flamme, passion ardente, langueur, pâmoison, appâts, Charles Le Brun.
On peut même dans Les Passions de l’âme de Descartes trouver quelques propos « galants ». En particulier lorsqu’il va essayer de décrire et d’expliquer « les actions des yeux et du visage, les changements de couleur, les tremblements, la langueur, la pâmoison, les ris [ figures rieuses ], les larmes, les gémissements et les soupirs ». En effet, « il n’y a aucune passion que quelque particulière action des yeux ne déclare », et pourtant il est difficile de la décrire précisément en détail à partir de l’œil seul ; il faut recourir au front, au nez et aux lèvres ( comme le montrera le peintre Charles Le Brun dans sa Conférence sur l’expression des passions de 1668, avec soixante-trois dessins et une description écrite très cartésienne ), mais ceux-ci peuvent « aussi bien servir à dissimuler ses passions qu’à les déclarer ». Par contre, la maîtrise de la rougeur ou de la pâleur devient impossible, de même le tremblement dû à un désir ardent, une colère ou une ivresse. Descartes en vient à la langueur par amour. Tout vient du fait qu’on imagine que l’objet de notre désir ne saurait être atteint dans le temps présent. En effet « l’amour occupe tellement l’âme à considérer l’objet aimé », qu’elle se bloque sur son image, si bien qu’il y a obsession de la personne désirée, laissant le corps languissant. Quant à la pâmoison, elle « n’est pas fort éloignée de la mort ». Le feu du cœur semble s’être éteint, étouffé. Les larmes ne viennent pas d’une tristesse extrême, elles sont « accompagnées ou suivies de quelque sentiment d’amour, ou aussi de joie »; mais c’est surtout la passion d’amour qui produit par intervalles celles-ci à cause de « quelque nouvelle réflexion » sur la personne que les amoureux affectionnent.
Descartes vient à considérer les enfants qui « pâlissent au lieu de pleurer ». D’après lui, cela manifeste « un jugement et un courage extraordinaire » car cela prouve qu’ils envisagent « la grandeur du mal et se préparent à une forte résistance ». Cependant cela peut être le plus souvent la marque d’un « mauvais naturel » basé sur la haine ou la peur, à l’inverse des enfants qui pleurent facilement qui penchent vers l’amour et la pitié. On voit ici poindre une explication caractérologique. Mais Descartes en vient même à une interprétation, je ne dirais pas psychanalytique, mais où il introduit une explication par l’enfance restée inconsciente. En effet, il existe d’étranges aversions chez certains, par exemple envers le parfum des roses, ou la vue d’un chat. Descartes suggère que l’odeur de ces fleurs ont produit un grand mal de tête alors que l’enfant était dans son berceau, ou qu’un chat l’a effrayé, sans que personne ne s’en aperçoive ni qu’il s’en souvienne, ou mieux, étant donnée la « liaison entre notre âme et notre corps », lorsqu’il était dans le ventre de sa mère et, par compassion, il a éprouvé les mêmes ressentis qu’elle, qu’il a conservés en dehors de toute conscience, et qu’il gardera « jusques à la fin de sa vie ». Au bout du compte, les passions de l’amour, de la haine, du désir, de la joie et de la tristesse sont toutes utiles, surtout les négatives qui servent à « repousser les choses qui nuisent et peuvent nous détruire » ! Cependant ne faisons pas comme les bêtes qui se laissent tromper par des appâts et qui, « pour éviter de petits maux, se précipitent en de plus grands », utilisons l’expérience et la raison. Descartes est à la fois empiriste et rationaliste !
On ne s’y attendait pas, mais Descartes va faire l’éloge de l’amour lorsqu’il est fondé sur une connaissance vraie, grâce à l’âme : « l’amour est incomparablement meilleure [ « amour », chez Descartes, est féminin, même au singulier ] que la haine ; elle ne saurait être trop grande et elle ne manque jamais de produire la joie. Je dis que cette amour est entièrement bonne, pour ce que, joignant à nous de vrais biens, elle nous perfectionne d’autant. Je dis aussi qu’elle ne saurait être trop grande, car tout ce que la plus excessive peut faire, c’est de nous joindre si parfaitement à ces biens, que l’amour que nous avons particulièrement pour nous-mêmes n’y mette aucune distinction [ l’être aimé étant notre moitié ] » (article 139 ). Ceci n’est pas sans évoquer pour moi le conte de Psyché [ l’âme ] et d’Éros [ l’amour ] qu’a décrit l’écrivain latin Apulée.
Key Word : passion, désir, amour, les yeux, le visage, étranges aversions, tromperie des appâts. Key Names : Descartes, Charles Le Brun, Apulée. Key Works : Patrice Tardieu, Expérience érotique dans un palais sans gardien ni fermeture, léger bruit dans l’obscurité. Apulée. Philo blog 22 novembre 2013 ; Psyché s’interroge sur son amant nocturne, ce « mari » qui lui fait l’amour et s’endort. Philo blog 24 novembre 2013 ; Amour de l’amour, désir brûlant, ardent, le dieu voluptueux, maître du feu amoureux, enjouement, Philo blog 26 novembre 2013 ; Recevoir de Vénus sept doux baisers avec la langue, pur miel. Psyché fouettée, tourmentée, Philo blog 28 novembre 2013 ; Les deux amants, nectar, roses, parfum,chants, danse et flûte jouée par un satyre, « voluptas », Philo blog 30 novembre 2013. Descartes, Les Passions de l’âme. Charles Le Brun, Conférence tenue en l’Académie Royale de peinture et de sculpture sur l’expression générale et particulière ( et Cabinet des dessins du Musée du Louvre ).
Patrice Tardieu.

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9 mai 2015 6 09 /05 /mai /2015 13:03

Amours passionnées, chercher sa moitié, monogamie, polygamie, tragédie, catharsis.
Descartes va maintenant nous parler « De l’agrément et de l’horreur » dans son traité Les Passions de l’âme. Nous avons vu que Descartes donne une très grande extension au mot « amour », mais il ne trouve pas qu’il en soit de même pour la haine. Il y a beaucoup plus de sortes d’amours passionnées que de haines. Cependant on peut trouver une opposition symétrique, si l’on considère les sens extérieurs et les sens intérieurs de l’âme. En effet alors on peut dire qu’il y a deux espèces : l’amour « d’agrément » basé sur la beauté, et la haine de la laideur qui produit l’horreur ou l’aversion, toutes deux provenant de nos sens extérieurs, principalement la vue. Il est assez scandaleux selon Descartes que les deux autres espèces symétriques et opposées, basées sur les sens intérieurs et la raison, l’amour de ce qui est bon, et la haine de ce qui est mal, pèsent d’un poids moindre que l’agrément et l’horreur, deux passions qui trompent le plus mais qui touchent le plus fortement. En effet, le désir de fuite peut être provoqué par « le bruit d’une feuille tremblante ou son ombre » comme s’il y avait péril de mort, et inversement le désir de jouissance à la vue de la différence des sexes pousse à chercher sa « moitié », comme « le plus grand de tous les biens imaginables » avec cette nuance importante : « Et encore qu’on voie plusieurs personnes de cet autre sexe, on n’en souhaite pas pour cela plusieurs en même temps, d’autant que la nature ne fait point imaginer qu’on ait besoin de plus d’une moitié » ( article 90 ), il s’agit proprement de l’amour au sens strict et ses « plus étranges effets ».
Notons que Descartes est aux antipodes de la polygamie du Coran, sourate IV ( « An-nisâ‘ », « Les femmes » ), verset 3 : « Épousez deux, trois ou quatre femmes, parmi celles qui vous plaisent », étant entendu que, verset 34, « les hommes ont autorité sur les femmes […]. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles en les reléguant dans des lits à part, et frappez-les ». Enfin, verset 43, avant la prière, « si l’un de vous revient du lieu où il a fait ses besoins, ou si vous avez touché à des femmes », il vous faut faire vos ablutions.
Descartes introduit une autre distinction : il y a la joie intellectuelle donnée par l’entendement et la joie passionnelle liée à la jouissance d’un bien que l’on se représente comme nous appartenant, et si l’on ne le représente pas, c’est comme s’il n’existait pas. Il peut aussi y avoir une tristesse intellectuelle comme une tristesse passionnelle qui est une « langueur désagréable ». Mais on peut se sentir triste ou joyeux sans raison, c’est-à-dire sans savoir de quel bien ou de quel mal il s’agit.
Descartes va insister sur les impressions du corps : il suffit qu’il fasse beau temps et que nous soyons en bonne santé pour éprouver de la gaieté sans aucune véritable raison et inversement si nous sommes indisposés, une certaine tristesse nous envahit. Cependant il peut y avoir le paradoxe d’une caresse qui nous déplaît ( Descartes dit « un chatouillement » ) ou celui de supporter des douleurs avec joie car cela prouve notre force de résistance, et de même le plaisir de regarder une tragédie qui ne peut en aucun cas nous nuire provient du fait que c’est une fiction, des « aventures étranges » représentées sur la scène d’un théâtre.
On connaît la célèbre définition d’Aristote ( Poétique, chapitre 6, 1449 b 25 ) : « La tragédie […] est une « mimésis » ( « imitation » ) faite par des personnages en action […] qui, par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la « catharsis » ( « purgation » ) des passions de ce genre ». Je dirais qu’on peut faire un rapprochement inattendu sur ce point avec Descartes qui a toujours voulu se différencier d’Aristote. En effet il s’agit d’expliquer comment des émotions pénibles peuvent se transformer en plaisir. Le vocabulaire médical ( « catharsis » ) ne déplairait pas non plus à Descartes qui en abuse pour expliquer les passions.
Key Word : agrément, horreur, étranges effets de l’amour, autorité de l’homme sur la femme, mimésis. Key Names : Descartes, Aristote. Key Works : Patrice Tardieu, Caresse : de l’effleurement sensuel à l’efflorescence de l’idée, Philo blog 23 janvier 2007 ; Humeur noire, clivage du moi, ombre de l’autre, deuil sans raison, Freud, Verlaine, Philo blog 11 octobre 2012. Descartes, Les Passions de l’âme. Aristote, Poétique.
Patrice Tardieu.

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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 12:10

Cœur supplicié, volé, Rimbaud pendant la Commune de Paris, aventures abracadabrantesques.
Au risque de ne pas être très poétique, je vais tenter de donner une clef de lecture au poème de Rimbaud intitulé Le Cœur volé selon Verlaine, Le Cœur du pitre selon Demeny, Le Cœur supplicié selon Izambard qui l’avait reçu par courrier le 13 mai 1871.
Expliquons la situation historique ; après le Second Empire de Napoléon III et la guerre entre la France et l’Allemagne de Bismarck de 1870 - 1871 qui le fit s’écrouler, la ville de Paris fut assiégée du 19 septembre au 28 janvier 1871 ( et la Troisième République proclamée par Gambetta le 4 septembre 1870 ). Les communards, profitant de la levée du siège de Paris par les Prussiens, proclamèrent « La Commune de Paris » [ qui dura du 18 mars au 27 mai 1871 ], en mémoire de celle de 1795 [ moment de la grande Terreur de la Révolution française ! ]. Ce pouvoir décréta l’arrestation d’otages et les exécuta, mit le feu aux Tuileries et fit tomber la colonne Vendôme [ qui ne sera rétablie qu’en 1875 ! ]. Rimbaud, âgé de seize ans et demi, qui a fait de multiples fugues, est enthousiasmé par ce mouvement révolutionnaire, et il monte à Paris.
Je vais essayer pas à pas d’éclairer la compréhension de ce poème, mais d’abord voyons-en la structure très régulière comme il est de mise dans la versification française à forme fixe comme le quatrain, le triolet, le rondel, le rondeau ou la ballade. Celui-ci comporte trois strophes, chacune sur deux rimes croisées, féminines et masculines, de vers de huit pieds, avec répétition aux lignes une, quatre et sept à l’intérieur de chacune des strophes. On voit que Rimbaud était un excellent élève de son professeur Izambard ( il a même écrit des poèmes en latin ! ). Le mot « cœur » apparaît dix fois (en comptant le titre ), mais ici il s’agit plutôt d’écœurement, de répugnance et d’indignation.
Le poème est daté de mai 1871. Que s’est-il passé ? Rimbaud a rejoint les communards à Paris, précisément à la caserne de Babylone. Voici les trois premiers vers de la première strophe :
« Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal :
Ils y lancent des jets de soupe ».
La poupe est l’arrière d’un navire, par opposition à la proue qui en désigne l’avant. Il me semble que le sens est clair ! Les communards ont lancé des jets de sperme dans son derrière qui dégoulinent !
Voici la suite de cette première strophe avec ses répétitions qui martèlent le choc subi par Rimbaud : « Mon triste cœur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal ! »
On apprend que la sodomie du jeune Rimbaud s’est déroulée sous les railleries, les plaisanteries grossières, vulgaires et l’hilarité des communards.
Deuxième strophe :
« Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l’ont dépravé !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques. »
Ces quatre premiers vers continuent la métaphore du navire que l’on retrouvera en mi-septembre 1871 dans Le Bateau ivre auquel Rimbaud s’identifiera, mais avec une référence aux fresques gréco-latines de personnages masculins ithyphalliques, c’est-à-dire au membre viril en érection, dans ce texte, des « pioupious », les fantassins et caporaux de la Commune qui ont violé le jeune garçon qu’était Rimbaud.
Suite de cette deuxième strophe:
« O flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit lavé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l’ont dépravé ! ».
Le poète reprend le mot cabalistique « abracadabra » emprunté au grec, mais utilisé par les enfants ( Rimbaud s’était déjà servi de ce mot dans sa toute jeunesse ) qui aurait un effet magique, celui de le « laver » de cette souillure. Notons qu’il crée le néologisme « abracadabrantesque » qui signifie désormais « invraisemblable » et qui sera repris par Jacques Chirac, alors Président, dans un discours politique télévisé, pour écarter une accusation !
Troisième et dernière strophe :
« Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J’aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon cœur est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ô cœur volé ? »
Les soldats de la Commune deviennent alors des marins qui mâchent leur chique, c’est-à-dire des boulettes de tabac ( qui rendent les dents noires ! ). Mais il ne reste plus pour le jeune Rimbaud que les spasmes du diaphragme et l’envie de vomir, après avoir subi l’assaut « bachique » ( lié à Bacchus [ Dionysos ], dieu du vin et de l’ivresse ). Se pose alors la question de l’action.
Notons que Rimbaud n’écrira plus aucune poésie après 1874 ( il a vingt ans ), c’est Verlaine qui « exhumera » Rimbaud. En 1876, il tente l’expérience coloniale en partant pour Batavia ( l’actuel Jakarta en Indonésie ) avec un régiment hollandais qu’il déserte rapidement. En 1880, il gagne Aden ( à la pointe sud de l’Arabie, actuellement au Yémen ) où il fait du commerce; il s’occupe de cartes géographiques, il est devenu marchand d’armes et réclame des esclaves pour lui-même. En 1891, il est rapatrié et amputé d’une jambe en France ; il meurt à trente-sept ans.
Key Word : La Commune de Paris de 1871, soldats ithyphalliques, colonialisme, esclavagisme. Key Names : Rimbaud, Verlaine, Demeny, Izambard. Napoléon III, Bismarck, Gambetta, Jacques Chirac. Key Works : Patrice Tardieu, Chants de l’exil, Charles d’Orléans, Du Bellay, Saint-John Perse, Philo blog 23 septembre 2012 ; Traces de poèmes qui s’effacent, sables de l’exil, Saint-John Perse le Pérégrin, Philo blog 27 septembre 2012 ; Souffrances de Dionysos, sa mère calcinée, agrafé à la cuisse de Zeus, découpé, ébouillanté, rôti, Philo blog 6 mars 2013. Rimbaud, Le Cœur volé ; Le Bateau ivre. Verlaine, Sagesse, III, VI, « Le ciel est par-dessus le toit… » [ poème de Verlaine en prison aux Petits- Carmes en 1873 après avoir tiré un coup de revolver sur Rimbaud qui voulait le quitter ].
Patrice Tardieu.

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 12:59

Faire l’amour avec ou sans consentement, concupiscence, impulsion, aversion, Descartes.
Puisque j’ai consacré deux articles récents au Discours sur les passions de l’amour attribué à tort ou à raison à Pascal, j’en viens directement à ce qu’en dit Descartes : « L’amour est une émotion de l’âme […] qui l’incite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables ». Il s’agit de « passions » qui « dépendent du corps » ( article 79 ). Descartes va nous expliquer ce que signifie « se joindre ». Il précise qu’il ne s’agit pas de désir, toujours tourné vers l’avenir, mais « du consentement par lequel on se considère dès à présent comme joint avec ce qu’on aime, en sorte qu’on imagine un tout duquel on pense être seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre » ( article 80 ). Remarquons que Descartes reprend la métaphore qui définit l’amitié chez Augustin ( Confessions, livre quatrième, chapitre VI ) à la mort de son ami : « je ne voulais plus vivre, amoindri de la moitié de moi-même », et chez Montaigne parlant d’Etienne de La Boétie ( auteur du Contr’Un ou Discours de la Servitude Volontaire ) : « Nous étions à moitié de tout; il me semble que je lui dérobe sa part […]. J’étais déjà si fait et accoutumé à être deuxième partout qu’il me semble n’être plus qu’à demi » ( Essais, I, XXVIII ). Descartes ajoute ( article 81 ) qu’on ne peut distinguer un amour de concupiscence d’un amour de bienveillance car l’amour cumule, comme effets, ces deux attitudes.
Puis, tout à coup, c’est l’élargissement stupéfiant et choquant du concept ( article 82 ) : « Comment des passions fort différentes conviennent en ce qu’elles participent de l’amour ». En effet, Descartes, qui cherche toujours à distinguer clairement et distinctement les choses, met ici dans le même sac, si je puis dire,
1. « Les passions qu’un ambitieux a pour la gloire ».
2. « Un avaricieux pour l’argent ».
3. « Un ivrogne pour le vin ».
4. « Un brutal pour une femme qu’il veut violer » [ sic ! ].
5a. « Un homme d’honneur pour son ami »,
5b. « ou pour sa maîtresse » [ est-ce la même attitude ? ].
6. « Un bon père pour ses enfants ».
Descartes avoue que ces comportements sont bien différents mais que, participant de « l’amour », on peut, sous cet angle, les considérer comme « semblables » ! Il ajoutera une importante nuance : dans les quatre premiers cas, il s’agit seulement de posséder « l’objet » ( position sociale, richesse, boisson, personne ) que l’on veut obtenir ; dans celui de l’homme d’honneur pour son ami, on retrouve le cas de l’amitié que j’ai décrite mais peut-être avec moins d’intensité que chez Augustin ou Montaigne ; et celui du désir qui y est mêlé, quand cela concerne sa maîtresse. Seul le cas du bon père de famille a toutes les éloges de Descartes , puisqu’il cherche le bien de ses enfants comme le sien propre et même encore plus que le sien, puisqu’il peut se sacrifier pour eux.
Descartes va alors distinguer trois degrés dans les relations ( article 83 ) : la simple affection où le moi du sujet reste prédominant ; l’amitié où se trouve une totale égalité ( Montaigne va plus loin car l’égalité présuppose deux personnes, or dans l’amitié entière il n’y a plus « bienfait, obligation, reconnaissance, prière, remerciement » qui sont des « mots de division » ) ; la dévotion. Selon Descartes, « on peut avoir de l’affection pour une fleur, pour un oiseau, pour un cheval », mais « on ne peut avoir de l’amitié que pour des hommes ». Que l’être humain soit imparfait ne pose pas vraiment de problème, il suffit d’avoir soi-même l’âme « noble et généreuse », et il nous renvoie à la distinction du philosophe Épictète sur ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Je vais expliciter cette opposition conceptuelle stoïcienne.
Ce qui est à notre portée, c’est en premier notre jugement ( « hypolepsis » ) car ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui nous troublent mais le jugement que nous portons sur elles ; il suffira de changer d’opinion pour ne plus être troublé. En second lieu la maîtrise de notre impulsion ( « hormè » ) car nous pouvons maîtriser, avec un peu d’exercice, nos tendances. En troisième lieu, notre décision volontaire ( « proairesis » ) qui peut dompter notre désir ( « orexis » ) ou notre aversion ( « enklisis » ). Ce qui ne dépend pas de nous, ce sont les accidents qui arrivent à notre corps, les aléas en ce qui concerne ce que nous possédons matériellement, l’opinion des autres sur nous ( la « doxa » ), les pertes inopinées de pouvoirs.
Concentrons-nous donc sur ce qui dépend de nous, sinon nous nous rendons esclaves de la poursuite vaine de la richesse, de la réputation ou du pouvoir ; c’est le prix de la liberté. Telle est la philosophie d’Épictète.
Key Word : amour, amitié, émotion de l’âme, passions, Stoïcisme. Key Names : Descartes, Pascal, Augustin, Montaigne, La Boétie, Épictète. Key Works : Patrice Tardieu, Désirer est-ce aimer ? 87404404.html, Philo blog 28 octobre 2011 ; Amours indivisées, amour indivis, désir d’aimer, Proust, Philo blog 25 janvier 2012 ; Sans amour je suis disloqué, les contradictions sursumées de l’amour, la conscience amoureuse, Hegel contre Proust, Philo blog 24 mars 2012 ; Amitié, Philo blog 8 juin 2011 ; que j’ai traduit en anglais Friendship Philo blog 26 juin 2011 ; L’amour, l’ennui, le cœur et la raison, les passions, Dieu. Pascal, Heidegger, le chevalier de Méré, Philo blog 5 avril 2015 ; Passions, plaisir, anamnèse du désir brûlant et du délire d’amour. Éros et l’enthousiasme hors de soi, 12 avril 2015.
Descartes, Les passions de l’âme. Pascal, Discours sur les passions de l’amour. Augustin, Confessions, livre IV, chapitre VI. Montaigne Essais, I, XXVIII, de l’amitié. La Boétie, Contr’Un ou Discours de la servitude volontaire. Épictète, Manuel, Entretiens. Balzac, Le Père Goriot. [Il se sacrifie pour ses filles qui n’ont pour lui aucune reconnaissance ].
Patrice Tardieu.

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19 avril 2015 7 19 /04 /avril /2015 23:56

Descartes, Casanova, la princesse palatine, la reine Christine, passions de l’âme, sang, nerfs, cerveau.
Descartes a rencontré Pascal en 1647 et il a hanté avant lui les salons mondains. Mais surtout il a eu une longue correspondance avec la princesse palatine Elisabeth de Bohème pour laquelle il a écrit en français un ouvrage au titre magnifique Les Passions de l’âme, au contenu déroutant comme nous le verrons. Il en enverra un exemplaire à la reine Christine de Suède qui le fera venir à Stockholm où il mourra cinq mois après.
Notons que le français était pratiqué aux dix-septième et dix-huitième siècles dans toutes les cours d’Europe et disparaîtra avec la révolution française au grand dam de Casanova voyant s’écrouler les fêtes de l’époque auxquelles il avait été invité pour son esprit car il n’avait ni noblesse ni argent, dont voici une de ses répliques. On lui demandait quel défaut il écartait en ce qui concerne les femmes et sa réponse fut : « J’écarte les jambes » ! Casanova rédigea d’ailleurs ses célèbres Mémoires en français.
J’ai dit que le traité de Descartes nous met dans l’embarras ( et ceci, dès le début ), en effet l’article 10 est intitulé « Comment les esprits animaux sont produits dans le cerveau » et il nous explique que ce sont « les plus vives et plus subtiles parties du sang [ l’expression « les esprits animaux », comme en chimie on parle « d’esprits-de-sels », sert à désigner un des corps les plus volatiles ] que la chaleur a raréfiées dans le cœur [ qui ] entrent sans cesse en grande quantité dans les cavités du cerveau »; ce qui permet de comprendre « les mouvements des muscles » ( article 11 ).
Et il faudra attendre l’article 27 pour avoir « la définition des passions de l’âme » : ce sont « des perceptions ou des sentiments ou émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, et entretenues, et fortifiées par quelque mouvement des esprits [ animaux ] ».
Nous avons affaire ici, pour le moment, à un exposé très médical psycho-physiologique qui donne toute son importance au cerveau [ ce qui renvoie au § 196 des Principes de la Philosophie ( dédiés « à la Sérénissime Princesse Elisabeth, première fille de Frédéric, roi de Bohême, comte palatin et prince-électeur de l’Empire » ) : « Comment on prouve que l’âme ne sent qu’en tant qu’elle est dans le cerveau » [ qui explique que l’on peut ressentir des douleurs dans les doigts alors que le bras a été amputé ].
Descartes insiste beaucoup aussi sur la glande pinéale située an centre du cerveau qui permettrait l’interaction du corps sur l’âme et de l’âme sur le corps ( articles 31, 32, 50 ), ce qui implique « que le siège des passions n’est pas dans le cœur [ physiologique ] » (article 33 ). Cet argument n’est pas purement « physique » en pointant le rôle des nerfs : Descartes fait remarquer que « les astres sont aperçus comme dans le ciel par l’entremise de leur lumière et des nerfs optiques ». Cette analyse sera reprise philosophiquement par Malebranche ( De la Recherche de la Vérité, livre III, deuxième partie, chapitre I ) : « nous n’apercevons point les objets qui sont hors de nous par eux-mêmes », mais par nos idées. Ce qui enclenchera « l’idéalisme » de Berkeley où « être c’est être perçu » ( « esse est percipi »).
Key Word : passion, sang, cerveau, nerfs, objets hors de nous. Key Names : Descartes, Pascal, la princesse Elisabeth, la reine Christine, Casanova, Malebranche, Berkeley. Key Works : Patrice Tardieu, Casanova a-t-il aimé les femmes ? Philo blog, 3 novembre 2011 ; Le désir masculin et le désir féminin selon Casanova, Philo blog, 6 novembre 2011 ; Casanova, le peuple et la démocratie, Hobbes, Rousseau, Voltaire, Philo blog, 8 novembre 2011 ; Casanova, désir mimétique, médiation double, René Girard, philo blog, 14 novembre 2011 ; Le membre fantôme, ressentir quelque chose dans l’organe que l’on n'a plus ! Descartes, Ruyer, Philo blog 1 octobre 2014 ; Matière toujours incertaine; certitude de l’idée, de l’affection, de la pensée, Malebranche, Philo blog 9 juillet 2012 ; Idéalisme, phénoménisme, tout n’est qu'apparence, être c’est être perçu, Proust avec Berkeley, Philo blog, 28 janvier 2012. Descartes, Les Passions de l’âme ; Principes de la Philosophie. Pascal, Pensées. Malebranche, De la Recherche de la Vérité. Berkeley, Trois Dialogues entre Hylas et Philonous ; Des principes de la connaissance humaine.
Patrice Tardieu.


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12 avril 2015 7 12 /04 /avril /2015 09:11

Passions, plaisir, anamnèse du désir brûlant et du délire d’amour. Éros et l’enthousiasme hors de soi.
Maintenant Pascal pose la problématique suivante : Comment expliquer l’unité et la diversité de la beauté recherchée dans l’amour [ problème de l’un et du multiple ] ?
1. L’Idée du Beau est « gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables ».
Ici l’auteur semble reprendre la théorie platonicienne du « ressouvenir » ( [ « anamnèse », du grec « anamnèsis »] Phèdre, 249 c ) de l’Idée de la Beauté contemplée jadis et devenue empreinte indestructible. Racontons brièvement cette « épopée » philosophique du « délire [ « manikè » ] d’amour » qui saisit d’un « transport divin » tous les êtres [ étymologie du mot « enthousiasme » du grec « en », « dans », et « theos », « dieu », d’où l’exaltation qui nous soulève ! Phèdre, 249 d ]. Selon Socrate, l’esprit est constitué de trois éléments, ce qui dirige, le côté docile, et le côté fougueux. Et au moment de la procession des esprits allant contempler les Idées se produit une sorte de tohu-bohu entre les différents esprits qui peuvent apercevoir celles-ci plus ou moins bien. Certains doivent se replier sur de simples opinions [ Phèdre, 248 b ], si bien qu’ils aperçoivent une pluralité au lieu de l’unité du Beau. Ceux, au contraire, qui l’entrevoient, « sont mis hors d’eux-mêmes, ils ne s’appartiennent plus » [ Phèdre, 250 a ] sans bien le comprendre, sorte de mystère pour initié. « Celui dont l’initiation est récente, celui-là, quand il lui est arrivé de voir un divin visage, parfaite image de la beauté, ou le galbe d’un corps pareillement divin, il a commencé par frissonner, et quelque chose s’est insinué en lui de ses effrois de jadis » [ Phèdre, 251 a ]. D’où le « désir brûlant » qui conduit à ne plus dormir la nuit, ni de pouvoir rester en place le jour. Seule la jouissance pourra l’apaiser [ Phèdre, 251 c- e ]. Tel est le lien d’Éros et de la Beauté gravée dans nos âmes.
2.Comment expliquer alors les différentes « nuances » de Beauté ?
L’auteur du Discours sur les passions de l’amour va colorer différemment son premier propos très platonicien.
a. Il faut tenir compte des circonstances particulières qui dépendent de notre disposition, si bien que chacun cherche « l’original » dont il ne trouvera qu’une « copie » dans notre monde.
b. Mais il y a déjà une influence de la beauté féminine due aux femmes elles-mêmes qui ont un grand pouvoir sur l’esprit des êtres masculins. A l’Idée du Beau, elles ajoutent leur propre beauté ou celle qu’elles admirent chez d’autres femmes car elles sont très sensibles à la beauté d’une blonde ou d’une brune, du grain de sa peau.
c. La coutume de chaque pays s’en mêle et transforme nos passions. Reprenant un propos de Montaigne ( Essais, livre II, chapitre XII, Apologie de Raymond Sebond ), Pascal écrira dans ses Pensées [ 294- 60 ] : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Cependant le Discours sur les passions de l’amour affirme que chacun est persuadé de la véracité de son jugement et « un amant trouve sa maîtresse plus belle » et la donne en exemple; si bien que la beauté semble plurielle, animée en plus par l’esprit des femmes, leur grâce et leur pouvoir de séduction. Elles sont faites pour l’amour et dans le cœur des hommes, il y a une place pour elles.
d. « L’homme est né pour le plaisir ». On croirait ici entendre l’hédonisme d’Aristippe de Cyrène, pour qui seul le présent existe (puisque le passé n’est plus et le futur n’est pas encore ) et donc le plaisir donne la mesure de toutes choses [ à ne pas confondre avec l’eudémonisme d’Épicure qui conduit au bonheur ].
En tout cas, on est très loin du Pascal des Pensées qui ne cesse de parler de la « misère de l’homme » perdu dans un monde infini, désespéré [ 72- 199 ], berné par son imagination sur « la beauté, la justice et le bonheur » [ 82- 44 ]. Toutefois l’auteur du Discours sur les passions de l’amour ajoute que le plaisir en question peut être vrai ou faux, mais qu’importe, pourvu qu’il soit perçu comme vrai ! Peut-être évoque-t-il le plaisir simulé par le partenaire ! D’ailleurs comment distinguer le vrai du faux puisqu’en parlant d’amour, on devient amoureux ! Éros lui-même n’est-il pas un enfant ?
Key Word : Amour, l’Idée du Beau, hédonisme, eudémonisme. Key Names : Pascal, Platon, Montaigne, Aristippe de Cyrène, Épicure. Key Works : Patrice Tardieu, Seul critère : le plaisir, Aristippe de Cyrène ; notre affect semblable à celui d’autrui ? Philo blog du 14 octobre 2012 ; Aristippe de Cyrène, le pathos, sensation que le sujet éprouve, les mots et autrui. Philo blog du 17 octobre 2012 ; Présent, instant, plaisir, hédonisme, Aristippe de Cyrène, Horace, Kierkegaard. Philo blog du 19 octobre 2012. Pascal, Pensées, Discours sur les passions de l’amour. Platon, Phèdre. Montaigne, Essais. Épicure, Lettre à Ménécée.
Patrice Tardieu.

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5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 12:09

L’amour, l’ennui, le cœur et la raison, les passions, Dieu. Pascal, Heidegger, le chevalier de Méré.
Un texte énigmatique nous est parvenu : Discours sur les passions de l’amour qui daterait de 1653 et aurait donc été conçu et rédigé, dans sa période « mondaine », « galante », par Pascal; redécouvert par le philosophe Victor Cousin, qui le considérait comme authentique, en 1843, et qui se trouve à la Bibliothèque Nationale ! Je vais essayer de « problématiser » cet écrit et d’exposer les thèses que Pascal ( en principe ) y soutient, tout en faisant références à ses Pensées [ numéros entre crochets, d’abord dans l’édition Brunschvicg, puis Lafuma ].
1. Comment un homme d’esprit vit-il ses passions ?
De manière agitée, parce que l’homme ne peut pas rester en repos sans connaître l’ennui. Les pensées « calmes », scientifiques, ne peuvent remplir sa vie. L’être humain a besoin de « remuement » et d’action. Or ce qui l’agite, ce sont les amours et l’ambition, antagonistes entre elles.
Commentons tout cela : on sait que pour Pascal (comme pour Descartes ) la réalité humaine se définit par la pensée [ 365- 756 ] « l’homme n’est qu’un roseau pensant » [ 347- 200 ] dit Pascal; c’est donc par elle qu’il devrait atteindre le bonheur. Il n’en est rien ! La passion sociale qu’est l’ambition [ notons qu’Aristote ne condamne pas la « mégalopsuchia », l’orgueil bien placé, justifié ( Éthique à Nicomaque, IV, 7, 1123 a 34 )], comme la passion interpersonnelle, sont nécessaires pour écarter l’ennui. Heidegger en distingue trois sortes : l’ennui courant, ordinaire, il faut « tuer » le temps [ mais est-ce possible ? ], on est bloqué dans une gare, assujetti à la situation; l’ennui après coup, on s’était amusé, mais non, on sent tout le vide de ce temps « perdu »; l’ennui « métaphysique », le monde n’est plus un monde de possibles. On trouve cette analyse dans son ouvrage : Les concepts fondamentaux de la métaphysique : monde, finitude, solitude. On comprend mieux cette « agitation » nécessaire selon Pascal.
2. Qu’est-ce qui nous pousse donc à aimer ?
Nous sommes un esprit mais aussi un cœur. Il n’y a pas à demander s’il faut aimer, nous y sommes porté sans réfléchir. Le sentiment est là. Mais la netteté de l’esprit permet celle de la passion, et la souplesse de celui-ci éclaire « les parties aimables de ce qu’il aime », en particulier pour l’être masculin la beauté de la femme.
Remarquons qu’il y a ici une différence avec le Pascal des Pensées [ 277- 423 ] dont la maxime ambiguë « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », s’explicite ( par la [ 282- 110] ) de la manière suivante : le « cœur » est l’intuition intellectuelle des principes suivants, « il y a espace, temps, mouvement, nombres » tandis que la « raison » démontre leurs propriétés et qu’ainsi « les principes se sentent, les propositions se concluent ».
Et dans le domaine religieux : « c’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison » [ 278- 424 ]. C’est le fameux « pari » de Pascal, grâce au joueur et écrivain le chevalier de Méré, qui va le pousser à créer ( avec Fermat ) le calcul de probabilité; chevalier de Méré qui est peut-être ( c’est une hypothèse que je suggère ) l’auteur de ce Discours sur les passions de l’amour !
Key Word : amours, ambitions, agitation humaine. Key Names : Pascal, Descartes, Aristote, Heidegger. Key Works : Patrice Tardieu, Interprétation biaisée de Pascal sur le cœur, le sensible, la raison et Dieu, Philo blog du 6 août 2013 ; Angoisse, ennui. Le Néant. L’Être. Heidegger, Philo blog du 7 juin 2011. Pascal, Discours sur les passions de l’amour ; Pensées ; Lettres à Fermat, La règle des partis. Descartes, Méditations métaphysiques. Aristote, Éthique à Nicomaque. Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique : monde, finitude, solitude. Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard.
Patrice Tardieu.

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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 22:59

Tétin chatouillé par la bouche, contact peau à peau de la maman avec son enfant. Ambroise Paré.
Freud attribue à la succion une importance considérable dans la vie. C’est d’abord ce qui a permis au nouveau-né de survivre en suçant le sein maternel, mais les lèvres de l’enfant sont immédiatement devenues une « zone érogène » puisque « « l’excitation causée par l’afflux du lait chaud a provoqué le plaisir », si bien qu’il va rechercher la répétition de cette délectation qui s’est imprimée dans sa mémoire. Freud va jusqu’à écrire : « la volupté de sucer absorbe toute l’attention de l’enfant, puis l’endort ou peut même amener des réactions motrices, une espèce d’orgasme ». Et il ajoute dans une note : « la satisfaction sexuelle est le meilleur remède contre l’insomnie. La plupart des cas d’insomnie nerveuse sont dus à une insatisfaction sexuelle. On sait que des nourrices peu consciencieuses calment et endorment les enfants qui leur sont confiés en leur caressant les organes génitaux ». Il en tire la théorie suivante que l’activité sexuelle s’est en premier lieu soutenue par un étayage sur la nutrition, pour s’en rendre indépendante ensuite. Et il s’ébaubit du spectacle suivant : « quand on a vu l’enfant rassasié abandonner le sein, retomber dans les bras de sa mère, et les joues rouges, avec un sourire heureux, s’endormir, on ne peut manquer de dire que cette image reste le modèle et l’expression de la satisfaction sexuelle qu’il connaîtra plus tard ». Il cite l’étude d’un docteur sur la sucette ( « das Lustscherli » [ remarquons qu’en allemand « die Lust » signifie « le désir charnel »] ) et le témoignage d’une jeune fille qui considérait que « tous les baisers ne donnent pas la joie que donne la sucette ».
Mais qu’en est-il de la mère ? Le célèbre chirurgien du seizième siècle, Ambroise Paré, écrit qu’il y a un lien entre le sein et l’utérus, « chatouillant le tétin, la matrice se délecte et sent une titillation agréable, parce que ce petit bout de mamelle a le sentiment fort délicat, à cause des nerfs qui y finissent […], de l’enfant qui les chatouille doucement de sa langue et bouche. A quoi la femme sent une grande délectation, et principalement que le lait y est en abondance ». Cette dernière remarque est importante car nous savons maintenant que c’est le bébé qui fait surgir le lait de la poitrine de sa mère. Un de nos contemporains ira jusqu’à dire : « Celles qui ont nourri avec plaisir savent qu’une femme peut jouir quand l’enfant tète. Mais silence, les hommes n’en veulent rien savoir ! Le plaisir ne doit apparaître que dans les bras de l’amant ».
On voit tout ce que perdent celles qui nourrissent leur enfant uniquement avec du lait industriel et un biberon qui ne leur communique rien ( ni plaisir ni souffrance car le sein peut être douloureusement gonflé, violacé, suintant sur le beau chemisier ). Et on comprend mieux la colère de Melanie Klein qui considère dans La Psychanalyse des enfants que c’est l’origine d’une grande frustration car, j’ajouterais, le contact de peau à peau est essentiel entre l’enfant et sa maman.
Key Word : La succion, afflux du lait chaud, délectation. Key Names : Freud, Ambroise Paré, Melanie Klein. Key Works : Freud, Trois Essais sur la théorie de la sexualité. Ambroise Paré, L’Anatomie, livre II. Melanie Klein, La Psychanalyse des enfants.
Patrice Tardieu.



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22 mars 2015 7 22 /03 /mars /2015 00:41

Fellation, rite sacré, jouissance et accès à l’au-delà; Isis. Approche psychanalytique, Riviere, Klein.
Nous avions vu que la psychanalyste Joan Riviere se penche sur l’enfant au sein. Elle continue sa réflexion de la manière suivante : « Du point de vue psychique, aucun d’entre nous n’aurait grandi si nous n’avions pas éprouvé un certain mécontentement à l’égard du lait de notre mère, de ses mamelons ou de nos biberons [ substitut du sein maternel ] ». En particulier le plaisir érotique du sein va se retrouver ailleurs, la succion qui permettait au nourrisson d’obtenir la nourriture dont il avait besoin lui faisait éprouver « un plaisir sensuel à sucer le mamelon ». Une des transformations de la succion n’est autre que le baiser des amoureux. Mais la psychanalyse va plus loin : cet éloignement et ce « rejet » de la mère et de son sein fait que « nous passons tous par ce mécanisme, soit que comme petites filles nous recherchions ( et finalement en tant que femme nous trouvions ) quelque chose chez l’autre sexe qui ressemble à un mamelon ». Si je ne me trompe, la très aristocratique Joan Riviere se réfère à la fellation ( qui vient du mot latin « fellatio », du verbe « fellare », « sucer »; les érudits connaissent aussi le verbe « irrumer » qui signifie au sens propre « donner le sein » du verbe latin « irrumo », mais qui est employé de manière licencieuse, « mettre dans la bouche de quelqu’un, au sens priapéen » par Catulle, dans ses Poésies, 16, 1; 21, 8, et Martial dans ses Épigrammes IV, 50 ).
Quant au garçon, nous dit-elle, il va s’éloigner du sein de sa mère et la séparer du « lait » qu’il va trouver finalement comme produit par son propre sexe. Toutefois il gardera « ce fantasme, d’importance capitale, d’un sein toujours gonflé qui ne fait jamais défaut ». Peut-être est-ce pour cela qu’elle insiste sur les Don juan : « Ces gens passent leur vie à chercher, à trouver et à être déçus parce que, soit en qualité, soit en intensité, leurs désirs sont démesurés et irréalisables ». Et elle ajoute : « Les Don juan et les instables gardent ainsi intact leur désir de ce qui est bon, pour autant qu’ils puissent reconnaître ce qui est bon [ le « bon sein » ] ». C’est une sorte de quête d’un paradis perdu.
Melanie Klein avait déjà rapproché le sein et le pénis dans son livre La psychanalyse des enfants, en étudiant le cas d’une fillette de six ans, d’une rare précocité sexuelle : « La manière compulsive dont elle suçait son pouce était due à des fantasmes dans lesquels elle suçait, mordait et dévorait le pénis du père et les seins de la mère ». Voici l’explication générale des premières relations à la mère : « Au point de départ de ces fantasmes, qui expliquent l’extrême attachement de la fille à sa mère, on retrouve le sein maternel, la première et de ce fait la plus significative des sources de satisfaction ». D’où l’introjection, en cas d’angoisse, du sein de la mère [ ou du pénis du père ]. Mais celle-ci donne lieu à un sentiment de culpabilité ce qui « ne fait que resserrer ses liens avec la mère et donne lieu à un besoin de réparation et de restitution qui s’exprime par de nombreuses sublimations de type féminin » [ travaux de couture qui consistent aussi, tout de même, à couper ! ]. Le rôle du vagin, plus tard, dans l’acte sexuel, permettra à la fois l’incorporation sans la destruction !
Je vais maintenant décrire une fellation sacrée qui concerne la croyance religieuse de l’Égypte antique. Dans une page rarement montrée du papyrus Ani, il y a l’animation du phallus par Isis qui est une déesse habituellement ( comme dans le Temple d’Abydos du Roi Sethos I ) représentée portant une coiffe de plumes de vautour et des cheveux entremêlés de bijoux en forme de petites têtes de serpent avec un prolongement sur le crâne qui contient un disque solaire; elle tient dans une main une crécelle rituelle à l’effigie d’Horus [ fils qu’elle a eu avec Osiris son frère et son époux ] qui porte au-dessus de lui un sanctuaire miniature, et de l’autre main une amulette qui retourne les sorts avec huit chaînes. Mais sur le papyrus ses mains sont occupées à retenir l’homme qu’elle suce et ses longs cheveux noirs, tombant sur son dos, ne sont pas couronnés du soleil entre deux cornes de vache sacrée, symbole de la fertilité. Isis, à genoux, le sein nu, flatte donc oralement le membre viril de l’homme pendant qu’Anubis, fils également d’Osiris ( mais avec Nephtys, autre sœur de celui-ci ! ), qui a un visage de chacal, aux oreilles dressées, avec coiffe égyptienne, tient l’homme debout de ses deux bras.
Cette fellation sacrée porte le nom « d’ouverture de la bouche » qui permet à l’homme ici momifié de recouvrer la parole, mais cette expression me semble plutôt pencher du côté de l’action de la déesse Isis qui introduit le pharaon dans la jouissance de l’au-delà par sa bouche ! C’est du moins l’hypothèse audacieuse que je formulerais ! Il est vrai qu’il y a une représentation de la même scène sur la fresque de la tombe de l’intendant Roy à Thèbes [ la Thèbes « aux cents portes » de l’Égypte ancienne ] qui est moins explicite que sur le papyrus Ani dont il existe un fac-similé au British Museum de Londres, en espérant que le Musée du Caire ne soit pas saccagé !
Key Word : psychanalyse, plaisir de sucer le mamelon, le baiser, le « bon sein », la fellation. Key Names : Joan Riviere, Melanie Klein, K. Lange & M. Hirmer, Catulle, Martial. Key Works : Joan Riviere et Melanie Klein, L’amour et la haine. Melanie Klein, La psychanalyse des enfants. Catulle, Poésies, 16, 1; 21, 8. Martial, Épigrammes, IV, 50. Papyrus Ani, fac-similé du British Museum. K. Lange & M. Hirmer, Égypte, architecture, sculpture, peinture, planche 210. Je signale, à titre indicatif, la réflexion de Platon sur le dieu égyptien « Thoth » ( « Theuth » en grec ), Phèdre, 274 c, et le commentaire de Jacques Derrida, La pharmacie de Platon, in La Dissémination.
Patrice Tardieu.

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 01:25

Peut-on associer violence et sacré, religion et sagesse, ferveur et exaltation, dogme et fanatisme?
Le débat sur France Culture entre Ali Benmakhlouf ( qui avait eu droit à une émission entière déjà le vendredi précédent ) et Rémi Brague a été savoureux; Adèle Van Reeth en a été prise de panique !
Ali Benmakhlouf se réclame de la philosophie analytique ( mais il a déjà abusé de la logique des propositions « verum sequitur quodlibet » [ « une proposition vraie suit de n’importe quelle proposition »] pour soutenir que « toutes les possibilités sont ouvertes », mais ce n’est vrai que pour le faux! ), de Wittgenstein et de Foucault, oubliant que dans L’usage des plaisirs Michel Foucault fait l’apologie de l’amour des garçons passifs par un homme plus mûr et actif ( chapitre IV, p. 243- 292 ).
Ali Benmakhlouf veut associer la « Voie », « le Chemin » coranique ( la « Chari‘a » [ la « Loi islamique » ]; seule occurrence de ce mot dans la sourate 45, 18 ) à la sagesse philosophique antique et soutenir qu’aucune sagesse ne peut justifier l’appel au meurtre. D’où le problème de la tolérance. Rémi Brague fait remarquer que les sourates de La Mecque sont plus tolérantes que celles de Médine mais que ces dernières abrogent les premières ! Il y a une gradation de plus en plus forte comme dans les prohibitions religieuses sur l’alcool : 1.Ne pas être ivre à la Mosquée; 2. Il serait préférable de ne pas en boire; 3. Interdiction totale. Il signale aussi les contradictions entre les versets. Adèle Van Reeth court au secours d’Ali Benmakhlouf en affirmant que ce n’est pas rédhibitoire. Rémi Brague pointe que le Coran est sensé être la parole de Dieu, éternel, omniscient et qui donc prévoit tout [ c’est même l’idée du « mektoub » ( « c’était écrit » sourate 3, 145, dans « Le Livre de Dieu » sourate 33, 6; « Le Livre de la prédestination » sourate 6, 38 ). Ali Benmakhlouf [ que j’ai entendu, lors d’une conférence, nier le « mektoub » dans le Coran ! ] passe alors au [ troisième ] calife, Othman, qui a constitué le premier « corpus » coranique, en évoquant quelques légendes. Il oublie de dire que ce très gros livre de 80 kilos, 1487 feuillets, n’a ni ponctuation, ni voyelle, et qu’Othman sera assassiné ( tout le monde n’était donc pas d’accord ! ), tout comme Ali, gendre de Mohammed, assassiné lui aussi, qui revendiquait le califat et qui donne une autre organisation du Livre et adjoint de très nombreux « hadiths » [ paroles et gestes attribués par la tradition à Mohammed ].
J’aimerais ajouter, ce que personne n’a dit toute cette semaine ( ni avant ) qu’en 1972, il y a eu l’écroulement du toit de la Grande Mosquée de Sanaa au Yémen où étaient cachés des centaines de fragments de Coran du premier siècle de l’Islam. Ce sont « des squelettes de consonnes » difficiles à lire et à interpréter; il n’y a pas de ponctuation, de titre des sourates qui sont dans des séquences différentes de celles actuelles ; il y a des palimpsestes ( on a effacé et ré-écrit par-dessus mais on voit une écriture en-dessous ); l’orthographe est déficiente; et aussi il n’y a pas que de l’arabe, mais du babylonien et de l’araméen [ langue parlée par Jésus, sorte de dialecte juif employé encore en Syrie ( s’il reste des personnes qui possèdent cet idiome )! ]. Il me semble que ce documentaire diffusé par Arte en 2009 était plus pertinent que la série de fiction américaine « House of cards » qui ne concernait que Le Lévitique directement.
Il y a aussi les photographies qui datent de 1920- 1930 de Gottelf Bergstramer de milliers de pages des premiers Coran, « Corpus Coranicum », avec les problèmes des « transformations » au cours des temps; que l’on croyait détruites en 1944 par les bombardements de l’Académie de Bavière, mais les négatifs avaient été cachés !
On en vient au cœur du problème avec la sourate 9 verset 5 où il s’agit de tuer, capturer, assiéger, piéger…Ali Benmakhlouf admet que c’est « une sourate violente » mais il ajoute qu’il s’agit de nouer la violence et le sacré [ allusion à l’ouvrage de René Girard ? ] et se replie sur « le monothéisme pur » ( « Al-Ihlas » ) de la sourate 112. Ali Benmakhlouf soutient que la prière quotidienne est pacifique. Rémi Brague dit qu’il faut en venir donc à la sourate première [ « Al-Fatiha », « Ouverture » ] que récitent tout le temps les croyants et qui se termine ainsi : « ceux qui ont encouru la colère de Dieu [ les Juifs ] et ceux qui se sont égarés [ les Chrétiens ] ». Et il se trouve que la sourate 9, « violente », reconnue comme telle par tous, est la dernière révélée et qu’elle annule par conséquent toutes les précédentes plus clémentes !
Enfin, Ali Benmakhlouf se réfère à la sourate 2, 256 [ Al-Baqarah ]: « pas de contrainte en matière de religion ». Mais alors Rémi Brague reprend une idée d’Ali Benmakhlouf : tout est une question de langage comme le dit Wittgenstein. Seulement alors cette sourate est-elle le commandement qu’il n’y ait pas de contrainte en matière de croyance religieuse ou faut-il l’interpréter qu’au contraire le croyant est ancré dans sa religion et ne peut alors en changer, ce qui n’est plus un ordre mais une constatation de l’impossibilité de sortir de sa propre croyance : il n’y a pas de contrainte possible en matière de religion. De toute façon, cette sourate 2, 256 est abrogée par la sourate « violente » 9, 5 ! Il lui dit : « Vous êtes coupable d’associationnisme, cher Ali ». Ce qui est terrible puisque précisément la sourate 9, 5 proclame : « Tuez les associationnistes où que vous les trouviez ».
En ce moment, en Irak, à Mossoul, on détruit les « idoles » mésopotamiennes, les sculptures, chefs-d’œuvre du patrimoine mondial, qui associent le divin à des déités, à coup de bulldozer et de masse ( actions que l’on peut voir sur des films de propagande des destructeurs eux-mêmes ! ).
Key Word : la tolérance, la violence, contrainte et religion. Key Names : Bruno Ulmer, Gottelf Bergstramer, René Girard, Ludwig Wittgenstein, Michel Foucault. Key Works : Patrice Tardieu : Religion positiviste, socratique, chrétienne, islamique, juive, bouddhiste, klossowskienne, Philo blog du 26 août 2007 ( et beaucoup d’autres, j’ai publié 68 articles à ce jour sur la religion ). Gottelf Bergstramer : Corpus Coranicum. Bruno Ulmer, Documentaire, 2009, sur Arte. René Girard, La Violence et le Sacré. Wittgenstein, Investigations philosophiques, Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 2, IV.
Patrice Tardieu.

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