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6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 23:13
Femme-arbre, colère d’Éros contre Apollon, passion amoureuse inguérissable, Ovide avec Proust.
Nous avons terminé la dernière fois avec Proust qui se réfère à Fénelon pour la prégnance tout de même du passé sur la déception de la quotidienneté : le narrateur est au milieu des jeunes filles, « comme si pareil […] à Télémaque, j’avais été en train de jouer au milieu des nymphes ».Mais le mauvais temps arrive, elles quittent Balbec, Albertine partant, sans raison, à Paris, la première. Une nouvelle fois elle se dérobe ! Le froid et l’humidité s’installe, l’hôtel se vide, le Casino est fermé. C’est la fin de l’été.
Revenons sur le titre. « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » aurait pu être une épitaphe pleine de mélancolie pour ces beaux jours et ferait allusion aux « ombres » d’un été. Proust en avait envisagé d’autres : « Les colombes poignardées » ( par la banalité de l’existence journalière ? ), « L’Adoration perpétuelle » ( le désir inextinguible ? ), « Intermittences du cœur » ( thème constant chez Proust ). Mais je crois que c’est plutôt une métaphore mythologique, la transformation de jeunes femmes en arbres comme celle de Daphné, dans Les Métamorphoses d’Ovide, qui, elle aussi, veut échapper au désir. Suivons ce poème en hexamètres. Tout commence par la colère d’ Éros contre Apollon qui se moque de l’arc de celui-ci. Et pour prouver son habileté, il tire deux flèches, l’une qui rend malade d’amour, l’autre qui fait fuir. L’une pour Apollon, l’autre pour Daphné. Il faut dire que Daphné « n’a cure de l’hymen, de l’amour et du mariage », elle a en horreur « les torches nuptiales » comme Diane, malgré ses nombreux prétendants à cause de sa beauté sauvage, et des demandes de son père d’avoir des petits-fils. Les flèches d’Éros ont fait leur effet : « ainsi que brûle le chaume léger, […] les buissons au contact du tison, […] ainsi le dieu s’embrasa, ainsi de toute son âme il brûle ». « La nymphe fuit, plus rapide qu’un souffle léger ». Il la supplie : « c’est l’amour qui me lance à ta poursuite, malheureux que je suis ! ». Il lui révèle qu’il est le fils de Zeus, qu’il a la puissance prophétique, qu’il est le dieu de la musique et de la poésie, de la purification du corps et de l’âme [ c’est lui qui efface la souillure du crime et réconcilie les hommes et les dieux ], la seule chose dont il ne peut guérir, c’est la passion amoureuse. La course de Daphné dévoile encore plus son corps. Apollon est comme un chien enragé qui veut attraper sa proie; il va bientôt la rattraper. Elle fait appel à son père qui a un pouvoir divin : « Fais-moi perdre en la transformant, cette apparence qui m’a valu trop de plaire ! ». Aussitôt son corps s’enveloppe d’une mince écorce, ses cheveux deviennent feuillage et peuvent se garnir de fleurs.
Dans cette gracieuse mythologie le narrateur peut s’allonger « à l’ombre des jeunes filles en fleurs ».

Key word

: prégnance du passé, déception de la quotidienneté, dérobade, fin de l’été, épitaphe mélancolique, les colombes poignardées, l’adoration perpétuelle, le désir inextinguible, les intermittences du cœur , métaphore mythologique, colère d’Éros, Apollon malade d’amour, fuite de Daphné qui refuse tout désir comme Diane, beauté sauvage, Apollon peut tout guérir sauf l’amour, métamorphose de la nymphe en arbre.

Key names
: Proust, Fénelon, Télémaque, Balbec, Albertine, Daphné, Ovide, Éros, Apollon, Diane, Zeus. N.B.: Daphné signifie en grec, comme en latin, le laurier, d’où les prénoms féminins Laura ou Laure; au nom d’Apollon, resté amoureux de Daphné, on décernera des couronnes de laurier aux vainqueurs, aux « lauréats » ( « couverts de laurier » ).
Key works
: les Métamorphoses, I, 452-490 ( Ovide ), Apollon et Daphné, sculpture en marbre du Bernin, totalement admirable ( Villa Borghèse, Rome ), Apollon et Daphné, peinture de Tiepolo ( Musée du Louvre ), Télémaque ( Fénelon ), A l’ombre des jeunes filles en fleurs ( Proust ).
L’île de notre nostalgie ( 2.2.w ).
Patrice Tardieu
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commentaires

J
<br /> Très cher Patrice Tardieu,<br /> Votre article fait appel à mes souvenirs... vous me direz c'est très proustien cela, donc bien à propos... :- « Intermittences du cœur » Ce titre me fait penser à Musset.<br /> - "Daphné et Apollon", j'ai vu la sculpture du Bernin à la villa Borghese, c'était sublime de beauté... le Maître a sculpté son marbre de telle façon qu'on voit l'instant figé de la<br /> métamorphose.<br /> Bien à vous,<br /> Jeanne<br />
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P
<br /> <br /> Très chère Jeanne,<br /> <br /> <br /> vous avez de bonnes références !<br /> <br /> <br /> <br />

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