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13 mars 2009 5 13 /03 /mars /2009 11:26

Oedipe

 

        Le tableau est manifestement inspiré de l’Oedipe à Colone de Sophocle et d’une disposition dramatique : à gauche, Oedipe drapé dans son himation rouge vermillon avec, à genoux, à ses pieds, Antigone, en bleu clair; à droite le choeur antique dans une gesticulation théâtrale derrière une stèle qui fixe la limite infranchissable; au centre, le sanctuaire avec au fond un temple majestueux surplombé d’un immense rocher. La tragédie est là : Oedipe, le transgresseur, a, une nouvelle fois, foulé les lois des hommes et des dieux; il a pénétré, aveugle, avec sa fille, dans un abaton, un lieu sacré, interdit, et il va subir le fiel des habitants et l’enlèvement de celle-ci par Créon. Fabre, très fidèlement, brosse le décor décrit par Sophocle : « lierre noir comme le vin, sous la feuillée impénétrable », « sources du Céphise » que nous voyons serpenter jusqu’à Athènes dans un troisième plan qui produit une échappée sur la droite introduite par un cavalier opportun, puisque Colone est le « pays des beaux chevaux ». D’ailleurs Oedipe s’est assis, fatigué, harassé par sa longue errance, perdu dans l’épaisseur de cette végétation. Antigone se retourne avec une expression suppliante devant les invectives qu’ils subissent, nouvelle cruauté du Destin. Pour expier leur audace, Oedipe devra se plier à des rites d’expiation et de purification, d’où les deux aiguières au réhaut de blanc, les cratères avec coupes pour accueillir l’eau et le miel, près de la fontaine jaillissante entourée de murets, avant d’aborder « le seuil mystérieux » de la mort. Une lumière venant de gauche, c’est-à-dire « sinistre », « funeste », dans l’optique divinatoire, éclaire vivement toute la scène. C’est alors qu’Oedipe lève le doigt vers le ciel.

Mais l’oeuvre de Fabre n’est-elle qu’une transposition picturale de Sophocle?

Ce doigt levé n’évoque-il pas le geste identique du Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci, de Platon dans l’Ecole d’Athènes de Raphaël, du Moïse dans le désert de Poussin, et finalement de Socrate avant sa mort de David (dans l’atelier duquel Fabre a passé quatre ans)? Les codes se brouillent...

D’autres indices vont nous conduire sur une autre piste encore. Cette ville au loin est-elle bien Athènes? Certes on croit pouvoir discerner l’agora, l’entrée de l’Acropole, peut-être le Parthénon parmi les édifices avec, au loin, le Pirée et la mer Egée surplombée du mont Hymette. Mais que vient faire cette grande tour carrée au centre de « la cité »? Nous ne sommes plus en Grèce,  mais à Florence où Fabre s’est exilé! Oedipe, c’est Fabre lui-même!

Une autre « dissonance » avec le texte de Sophocle va nous confirmer dans cette hypothèse. Voici comment Polynice décrit son père : « Je le retrouve comme une épave rejetée sur ce sol étranger, vêtu de quelques loques dont l’affreuse et sordide vétusté s’attache à son corps usé par les ans, tandis que sur son front sans regard la brise mêle et agite ses cheveux ». Quel contraste! Où sont les haillons et la carcasse décharnée? La musculature est celle d’un hoplite avec ses armes déposées à côté de lui et les habillements sont éclatants!

Fabre-Oedipe compte bien se battre et revenir triomphalement en France avec Louise de Stolberg, comtesse d’Albany, son égérie (mais elle mourra avant), sans doute figurée ici sous le personnage un peu trop lourdement vêtue d’Antigone. Il fera de son exil un tremplin où il accumulera des trésors artistiques qui lui permettront de fonder le futur « Musée Fabre » dans sa ville natale à Montpellier!

Ceci explique aussi que le temple grec, qui occupe une grande partie du second plan, malgré son style dorique, ses six colonnes en façade, son fronton portant une inscription en grec, n’est pas grec, mais ressemble à une église romaine néo-classique par sa largeur. D’ailleurs, l’inscription grecque n’est pas grecque non plus, puisqu’elle utilise des sigmas lunaires empruntés à l’époque latine. Nous avons affaire à une Grèce onirique, fantasmatique. Souvenons-nous que Fabre n’a jamais été lui-même dans ce pays.

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