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19 janvier 2009 1 19 /01 /janvier /2009 13:02

 

            Du point de vue formel, comment nous apparaît la Nyssia de Pradier? Formulons une première interprétation : elle est typiquement conforme à l’idéal grec de beauté. Pradier ne fut-il pas surnommé « le dernier des Grecs », « le dernier des païens »? Et Théophile Gautier n’écrivait-il pas à propos de « Sapho », en fonte d’argent à la cire perdue, exposée la même année que Nyssia : « Pradier est un païen pur, adorateur de Zeus, d’Héré, de Poséïdon et surtout d’Aphrodite. [...] Cette statue demi-nature, si elle était convenablement oxydée et vertdegrisée par un séjour prolongé sous la terre ou dans la mer, qui lui donnerait la patine antique, pourrait passer pour une des oeuvres de l’art grec [...] ». Il va même jusqu’à affirmer, deux ans plus tôt, à propos du « style antique si pur », « qu’on ne peut l’expliquer qu’en supposant une mystérieuse incarnation du sculpteur grec dans la peau de M. Pradier ». Un critique,qui avait pourtant condamner l’art de notre statuaire précédemment, apprécia sa « Phryné » de la manière suivante :  « on n’est pas plus grec que cela » par la prédominance de la beauté plastique.

Mais voyons maintenant les conséquences « négatives » de cette première interprétation. En premier lieu l’inventivité, l’originalité, la nouveauté déroutante tant prisées par les artistes dès la fin du XIXème siècle fait ici entièrement défaut. Quel classicisme dans la composition des « Trois Grâces » du Musée du Louvre! Aggravons un peu plus le cas de Pradier et lâchons le mot : c’est un artiste officiel qui fait carrière à Paris en offrant ses services à tous les régimes politiques successifs. Pire : il expose tous les ans (sauf une fois) aux Salons de 1819 à 1852, année de sa mort où il obtient, à titre posthume, la médaille d’honneur pour sa « Sapho ». Bref, l ’accusation d’  « académisme » peut être lancée contre lui, comme elle l’a été contre Jean-Léon Gérôme dont le monument élevé dans sa ville natale fut démantelé pour cette raison en 1930! On peut donc condamner sans appel Pradier : « en plagiant les prototypes antiques, en dotant ses personnages de draperies sévères, en donnant à leurs visages une sereine indifférence, il n’est parvenu qu’à la froideur et à l’ennui de l’académisme »; et généraliser l’anathème sur les oeuvres de ces artistes : « Ce sont des boîtes à violons, mais l’instrument n’y est pas » et ceci est vrai « de tous ces statuaires qui font le calque de l’antique ».

La faute revient à cet engouement pour l’art ancien, qui, chez Pradier, lui a été transmis par ses maîtres et qu’il transmettra à son tour à ses élèves en tant que professeur aux Beaux-Arts et membre de l’Institut. Ainsi sa « Nyssia », très remarquée au Salon de 1848 et qui obtint la première récompense, peut être tenue pour « l’exaspération de la stéréotypie grecque dans le néo-classique ». C’est une thèse que développera Gérard Swang en 1967; Pradier est victime de la civilisation du « logos » (qui signifie à la fois parole, discours, raisonnement) et l’esthétique doit donc être « logique ». Les formes géométriques simples donnent le canon artistique qui permettra de dire le monde à la lumière d’une vérité  universelle; d’où la recherche des proportions du corps humain. En revanche « le logos est incapable de cerner le vide, le creux », « il faut représenter le corps féminin comme s’il était plein ». De cette mauvaise foi esthétique, la statuaire classique empêchera la femme «  d’assumer intégralement son être au monde », car « pour accéder à la glorification de la statue, la femme doit perdre son sexe ». En effet, les effigies féminines sont désexuées puisque sans poils et sans fente :  « La pensée grecque a achoppé devant cet organe qu’elle ne peut sortir, extérioriser, mettre dans la lumière pour l’appréhender ».

C’est cet héritage que va intensifier le néo-classicisme de Pradier ou de Jean-Léon Gérôme. On peut observer sur une photographie de ce dernier dans  son atelier le modèle vivant à la toison fournie et la statue imberbe. Gautier faisait dire pourtant au roi Caudaule s’adressant à Gygès : « Il faut que tu contemples Nyssia [...] sans draperie, [...] telle que la nature l’a modelée de ses mains ». Cette nature, c’est la « phusis » revue et corrigée par le « logos »! Pradier, décidément, se plie à l’esthétique grecque : le bas ventre de Nyssia est un triangle isocèle bombé parfaitement lisse.

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