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16 septembre 2015 3 16 /09 /septembre /2015 11:36

Masochisme, satisfaction dans la souffrance, honte, humiliation, le yin, le yang, Théodore Reik, Freud.
Reik, devenu membre de « l’Institut Psychanalytique de Vienne » (anciennement « Société psychologique du mercredi » ) grâce à Freud, débute son ouvrage intitulé Le Masochisme ainsi : « Comment les philosophes en sont-ils arrivés à penser que l’homme est un animal qui cherche le plaisir et essaye d ’écarter la souffrance ? ». On s’attendrait à ce qu’il cite Aristippe de Cyrène, ce philosophe du cinquième-quatrième siècle avant J.-C., pour qui seul l’instant présent existe ( le passé n’est plus, le futur n’est pas encore ) et que « le plaisir est un bien, même s’il vient des choses les plus honteuses » si bien que « tous les êtres vivants recherchent le plaisir et fuient la douleur ». Reik fait référence à Bertrand Russell qui soutient dans Analysis of Mind que la tendance est plutôt d’éviter la souffrance. Mais alors comment rendre compte du masochiste qui non seulement ne la fuit pas mais la recherche, est attiré par elle ? Il évoque rapidement, en passant, Krafft-Ebing, pourtant le fondateur et l’explorateur de ce concept.
Krafft-Ebing se base sur des documents qu’on lui a communiqués à titre privé, du vivant même de Sacher-Masoch ( d’où le terme « masochisme » créé par Krafft-Ebing ), auteur de La Vénus à la fourrure, où il se montre « l’esclave dévoué comme un chien » de celle-ci, mêlé au fétichisme de la fourrure, expérience qu’il fit, avant et après son mariage avec sa première femme. Krafft-Ebing reproduit un contrat en bonne et due forme entre une « maîtresse » qui « pourra punir selon son bon plaisir son esclave », et un autre contrat avec sa future femme où il est dit qu’il renonce à son moi, qu’elle pourra le corriger sans qu’il puisse se plaindre car son corps comme son âme lui appartiennent, qu’elle peut abuser de la plus grande cruauté sans qu’il puisse se plaindre ou s’enfuir. Mais Krafft-Ebing fait une remarque surprenante ; ces contrats ont parfois une clause temporelle comme celle-ci : « A l’expiration de six mois, cet intermède de servitude sera considéré comme non avenu par les deux parties, et elles n’y feront aucune allusion sérieuse. Tout ce qui aura eu lieu devra être oublié, avec retour à l’ancienne liaison amoureuse ». Et d’ajouter que le couple ensuite souvent vit dans l’harmonie la plus heureuse, tout en ayant une sexualité conforme à leur façon de sentir. Krafft-Ebing insiste : « En dehors de ces épisodes relativement courts, ils ont de l’affection l’un pour l’autre ». Ils vivent en bonne entente. « Ils s’entretiennent entre eux, comme si de rien de tel n’était arrivé; ils vont ensemble au théâtre, ils se donnent des distractions intellectuelles ». Et dire que l’on affirme que Krafft-Ebing n’a pas les idées larges !
Reik va exposer ensuite le point de vue de Freud qui distingue trois formes de masochisme : primaire ou érogène, féminin, moral [ Trois Essais sur la théorie de la sexualité, note 24 ]. Reik commence par le masochisme moral qu’il considère exister chez tout le monde, c’est la tendance à chercher la souffrance et à en tirer du plaisir sous « l’effet d’un désir inconscient d’être puni » que l’on retrouve dans de nombreux « groupes sociaux, nationaux et religieux » car « au cours de l’enfance, les punitions proviennent des parents ; une fois adultes, c’est Dieu, ou bien un destin maléfique ». En effet, une autorité cachée à l’intérieur du psychisme prend la place du juge qui condamne des actes défendus, c’est le surmoi ; tout comme le criminel qui recherche la punition. Reik évoque les personnages de Dostoïevski et leurs tourments. Reste à expliquer comment « la souffrance, la honte, l’humiliation, la gêne physique et morale soient les préliminaires d’une satisfaction sexuelle ».
D’où le masochisme « féminin » [ je dois dire que ce qualificatif vient sans doute chez Freud comme chez Reik du préjugé que la sexualité « féminine » consiste dans une attitude « passive » ] où une atmosphère « d’essence féminine » serait à la fois « redoutée et inconsciemment désirée par beaucoup de femmes, l’idée, en imagination, d’être outragées sexuellement, et imprégnées [ du latin « impraegnare », « féconder »] à leur corps défendant ». Mais tout de suite Reik parle « d’un homme qui désire être battu, insulté, attaché, qui est humilié par une femme et complètement dominé par elle, et qui de cette idée tire un intense plaisir ». Et il nous donne un cas auquel il a eu affaire, en l’analysant. Voici la scène qui s’est répétée pendant des années. Une femme grande, belle et dominatrice devait frapper ses fesses couvertes d’un pantalon noir et l’orgasme survenait avec les coups. D’où venait tout cela ? Petit garçon, dans une station thermale, il avait vu le postérieur de sa mère couvert de boue noire. Le patient s’identifiait donc à sa mère et il attendait la claque que le père administrait régulièrement sur la croupe des femmes de ménage, de sa mère, de la femme de chambre, et de la nurse, comprenant le sens érotique de la tape. Reik en tire l’explication suivante : l’analysé a pris la place de la femme fustigée, tandis que celle qui est derrière lui représente le père. Mais un jour il se retourna et la « magie » de la scène disparut. La femme portait autour du cou de la fourrure que Reik analyse comme étant la barbe du père ! Je trouve extraordinaire cette hypothèse car la fourrure est par excellence la parure de la femme chez Sacher-Masoch ( et de son sexe avant une date récente ) !
Notons que dans le taoïsme, Le livre de la Voie ( le « Tao ») attribué à Lao-tseu [ Lao-zi ] se trouve l’affirmation suivante : « Le Tao [ Dao ] a produit l’Un, l’Un a produit le Deux [ le Yin et le Yang ] et le Deux a produit le Trois, le Trois tous les êtres qui s’adossent au Yin et au Yang » ( §42 ). Or, le Yang, en chinois, est le mot qui désigne le principe masculin, c’est-à-dire le lumineux, le positif, ce qui est au soleil, ce qui est clair, lisse, la face, ce qui est ouvert, évident, actif, vivifiant, visible…et le Yin, le principe féminin, le négatif, l’ombre, le sombre, le dos, le caché, le secret, le froid , le velu [ les poils pubiens de la femme !] …
Revenons à Théodore Reik ; la seule affirmation qui me semble juste ici de Reik est que, pour le masochiste, « être battu signifie être aimé ».
Enfin, troisième forme freudienne du masochisme, qualifié par Reik « d’érotogène » et de « primaire » par Freud. « Ceci est du masochisme littéralement pur, une excitation sexuelle particulière, indépendante de l’attitude du sujet envers l’objet [ l’autre ] écrit Reik. C’est en quelque sorte un choc mécanique qui provoque l’érection à partir de la peau, des muqueuses ou des muscles, comme les harmoniques d’un violon, base de l’excitation masochiste.
Reik termine par la dernière théorie de Freud celle d’Au-delà du principe de plaisir, dominée par la bataille titanesque entre la pulsion de mort qui veut guider les vivants vers le repos éternel, la non-vie, et l’éros qui veut multiplier la vie à tout prix. Reik y voit même « le rôle du sadisme dans la vie sexuelle normale, tel qu’il paraît dans l’approche et la conquête de la femme et même dans l’acte sexuel, peut être considéré comme un symptôme de l’apaisement des instincts de mort. La bête de proie paraît être apprivoisée et même dressée à des jeux et des morts amoureux. […] Dans le sadisme l’objet est maintenant cruellement et violemment aimé ». Et d’ajouter : « l’instinct de mort associé à Éros nous offre une de nos vues les plus profondes dans la nature de l’être ».
Key Word : masochisme moral, féminin, érogène, le velu de la femme dans le taoïsme et dans la langue chinoise, être battu, être aimé, Éros et Thanatos.
Key Names : Théodore Reik, Freud, Aristippe de Cyrène, Bertrand Russell, Krafft-Ebing, Sacher-Masoch, Dostoïevski, Lao-tseu, François Cheng, Sade.
Key Works : Patrice Tardieu, De Lacan à Aristippe de Cyrène:qu’est-ce qu’un objet? Philo blog 29 décembre 2006 ; Dialectique, taoïste, machiavélique, érotique, phénoménologique et psychanalytique, de la charcuterie, Philo blog 8 février 2007 ; Obscénité et violence à l’origine du monde, Philo blog du 12 février 2008 au 4 avril 2008 ; Jouissance inhumaine: Sade, Lacan, Hegel, Philo blog du 30 septembre 2008 au 3 janvier 2009 ; Éros, Désir, Thanatos, adolescent androgyne, Visconti, Mahler, Thomas Mann, Philo blog 11 février 2012 ; Plongeon dans la passion, dans la mort, Phèdre, Racine, Aristote, Sénèque, sarcophage de Paestum, Philo blog 7 septembre 2012 ; Seul critère: le plaisir, Aristippe de Cyrène, notre affect semblable à celui d’autrui? Philo blog 14 octobre 2012 ; Aristippe de Cyrène, le pathos, sensation que le sujet éprouve, les mots et autrui, Philo blog 17 octobre 2012 ; Présent, instant, plaisir, hédonisme, Aristippe de Cyrène, Horace, Kierkegaard, Philo blog 19 octobre 2012 ; Algophilie n’est pas masochisme, se piquer avec des épingles, Clérambault et Sacher-Masoch, Philo blog 10 novembre 2012 ; Ce qui est né doit mourir, ce qui est mort doit renaître, immuable âme, ne pleurer ni les vivants ni les morts, Philo blog 30 avril 2013 ; Honte et sensualité, goûts et désirs marqués à vie pour Jean-Jacques Rousseau par Mademoiselle Lambercier, Philo blog 7 juillet 2013 ; Douleur infligée par une femme belle et cruelle, dialectique maître esclave, Sacher-Masoch, Philo blog 9 juillet 2013 ; La puissance de la femme: la passion de l’homme, esclave ou tyran, Nietzsche, Sacher-Masoch, Philo blog 11 juillet 2013 ; Jouissance masochiste suprasensuelle, Sacher-Masoch et Louis II de Bavière, Philo blog 13 juillet 2013 ; Embarcation, linceul blanc, image à rêver, l’île des morts, Arnold Böcklin, Serguei Rachmaninov, Philo blog 30 août 2013 ; Luxure et cruauté, utilité du mal, équilibre naturel écologique, Marquis de Sade, Leibniz, Philo blog 7 septembre 2013 ; Expirer en jouissant, volupté excessive, picotement des nerfs, combat des Parques et de Vénus, Sade, Philo blog 13 septembre 2013 ; Sade avec Sainte Thérèse d’Avila transpercée par la flèche en or de l’ange jusqu’aux entrailles, Philo blog 21 octobre 2013 ; Perte d’identité dans la fusion érotique, vertige, excès, paroxysme, Baudrillard, Bataille, Hölderlin, Philo blog 25 octobre 2013 ; Les poils pubiens peuvent-ils expliquer l’invention « féminine » du tissage? Fabuleux Freud! Philo blog 25 janvier 2014 ; Image de l’homme dévoré par ses propres désirs, juste vengeance de Vénus contre Narcisse, Diane, Philo blog 4 février 2014 ; Miroir et féminité, larmes, jalousie rusée, Narcisse masochiste au comportement féminin? Philo blog 26 février 2014 ; Rêveries diurnes, scènes érotiques de châtiment corporel, plaisir de la honte, A Rebours, Là-bas, Philo blog 7 juin 2014 ; Cavalière chevauchant son partenaire qui la prend sur son dos comme un cheval, equus eroticus, Philo blog 7 décembre 2014 ; La flagellation qui provoque la honte en public comparée à l’exhibitionnisme, Havelock Ellis, Philo blog 29 janvier 2015.
Théodore Reik, Le Masochisme. Aristippe de Cyrène in Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre II, Aristippe. Bertrand Russell, Analyse de l’esprit. Krafft-Ebing, Psychopathia sexualis. Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure. Dostoïevski, Les Possédés. Lao-tseu, Le Livre de la Voie, François Cheng, Vide et Plein , { j'y vois le sexe féminin et le sexe masculin dans la pensée chinoise } le langage pictural chinois, Sade, Œuvres . Freud, Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Essais de psychanalyse.
Maîtresse, film de Barbet Schoeder, avec Gérard Depardieu et Bulle Ogier ( 1975 ). La Vénus à la fourrure, pièce de théâtre de David Ives ( histoire d’un metteur en scène et d’une actrice qui veulent mettre sur les planches le livre de Sacher-Masoch ), devenue film, en 2013, de Roman Polanski, avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric.
Patrice Tardieu.











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commentaires

J
Masochisme moral ?<br /> Ce qui me semble clair, de mon point de vue, c'est qu'il y a deux sortes de masochisme. Il y a le masochisme de celui qui cherche la souffrance, consciemment, délibérément, - et les moyens sont variés - en vue d'en tirer une certaine jouissance; <br /> D'où les pactes implicites ou explicites entre le sadique et le masochiste, le maître et l'esclave. Tout cela est assez clair.<br /> Et il y a le masochisme qu'on ignore. Celui-là est moral, social. Il consiste à épouser le désir des autres en considérant cela comme un devoir, comme une bonne action, puis à se rendre responsable des problèmes et des peines causés par l'échec dans la satisfaction de ce devoir. <br /> Exemple : l'amour dans un couple , La fidélité etc<br /> Quand c'est un devoir, mais que les efforts pour accomplir ce devoir provoquent plus de problèmes qu'autre chose, on peut se dire que c'est de sa faute si on ne sait pas aimer, au lieu de se demander si ce devoir est bien réaliste et bien sérieux. <br /> Toujours est-il qu'on accepte de souffrir pour des problèmes dont on n'est pas responsable, de souffrir à la place des responsables, sans le reconnaître. ..
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P
Cher Jean-Louis,<br /> il me semble que vous distinguez d'abord ce qu l'on appelle habituellement le masochisme à partir du psychiatre Krafft-Ebing qui le premier se réfère directement aux écrits de Sacher-Masoch, suivi par des psychanalystes comme Freud et Reik, d'une forme plus "ténue" d'acceptation des aléas de la vie conjugale qui peuvent comporter des regrets, des tristesses plus ou moins mal subies. <br /> Je ne dirais pas que c'est du masochisme, mais une forme de déception dans l'écoulement du temps qui n'a pas correspondu à nos attentes dans la vie du couple.<br /> Patrice Tardieu.

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